samedi 27 décembre 2014

Une femme fuyant l’annonce. David Grossman.

Livre essentiel, que j’ai mis plus d’un mois à lire, tant je redoutais sa force.
Ora, une mère juive, part loin de chez elle pour échapper à l’annonce d’une nouvelle fatale qui pourrait concerner son fils Ofer engagé dans une opération militaire.
Il faut bien 780 pages pour suivre à la trace cette femme et le vrai père du jeune soldat, dans de magnifiques paysages.  
Même si : «  C’est grandiose ici ! s’extasie Ora, d’une voix embarrassée, comme si elle contemplait un paysage destiné à quelqu’un d’autre. »
Les mots sont là pour repousser la mort, et chacun d’eux est choisi :
« Il y a aussi une coupe de taboulé concocté à sa façon, pour lequel Ofer se ferait tuer- ou plutôt qu’il aime à la folie, se reprend-elle sur- le-champ, pour sa gouverne. »
En coupant toute communication avec le monde, elle se rapproche de son fils, et d’elle-même, après une vie tumultueuse où se croisent la folie, la violence, la culpabilité, l’amour, les amours. Elle n’a pas vécu avec celui qui la suit dans sa marche, homme dévasté qui semble se reconstruire peu à peu auprès de cette femme à la fois fine et fragile. Un autre homme, Illan, a élevé avec elle deux enfants, ils viennent de se séparer.
Dans cette histoire élémentaire aux dimensions à la fois mythologiques et très incarnées, même dans des coins de nulle part, le conflit avec la Palestine traverse douloureusement l’intimité de chacun.
Il n’est pas question que de fusion mère/enfant, de la liberté de l’amante, de la complexité de l’éducation, de la vigueur des femmes, mais aussi du temps qui a passé :
« On prend congé de soi-même avant les autres comme pour atténuer le coup fatal »
Même les chemins parlent hébreu, ils nous parlent :
« Le rrrsh-rrrsh des semelles raclant la terre » […] Il s’emballe à l’idée des mots jaillissants de la poussière, rampant hors des crevasses de ce terreau aride et raviné, projetés dans les airs par la fureur du hamsin, parmi les chardons les ronces et les épines comme des nuées, des criquets ou des sauterelles. »
Alors que l’auteur, militant de la paix, pensait « que les pages qu’il rédigeait le protégeraient », un de ses fils a été tué pendant la guerre au Liban en 2006, avant la fin de la rédaction de cet ouvrage inoubliable qui nous emmène bien au-delà d’un pays si petit, tout en rendant compte intensément de son drame permanent, où à chaque pas les randonneurs croisent des plaques commémorant les morts pour défendre quelques arpents de terre.
Rien que le titre ouvre vers l’universel et nos terreurs privées.

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