jeudi 19 juin 2014

Le corps souffrant. Serge Legat.

Au cours du cycle « le corps dans tous ses états », Serge Legat a apporté devant les amis du musée, toutes les pièces contredisant l’idée reçue qui verrait l’art contemporain se complaire à la représentation de la laideur opposée à une beauté ayant régné jadis sans partage.
Le conférencier commence cette galerie des portraits aux disgrâces infligées par la nature par "  Le Portement de Croix » de  Jérôme Bosch. Celui qui va subir le supplice  est apaisé ainsi que Sainte Véronique au milieu d’une foule féroce dont la violence est assortie à la laideur.
La correspondance des traits du visage liés à un caractère est élevée au rang de science : la physiognomonie connait quelques succès au XVII° siècle, au moment où Charles Lebrun lance les conférences à l’Académie royale de peinture. La tête était au sommet de la hiérarchie d’un corps dont les mystères reliés aux passions sont explorés ; les dérives les plus terrifiantes de cette théorie arriveront jusqu’à notre époque dans les wagons plombés des thèses racistes.
Léonard de Vinci  avait recherché avec ses têtes grotesques, hors normes, la diversité de la création, tout en poursuivant ses études de rapports de proportion harmonieux.
Le visage très marqué de l’homme âgé de Ghirlandaio, au nez  atteint d’une rhinophyma, en face d’un enfant  lumineux est transcendé par la douceur des regards,  pendant que les traits lourds  de Robert de Masmines peint par Robert Campin, né à Valenciennes, le « Maître de Flémalle », annoncent les maîtres flamands.
Les italiens continueront  plus longtemps à idéaliser le corps humain, à l’instant où les écoles du Nord traitent vigoureusement de la vérité du corps humain en allant chercher vers les ténèbres, le désordre, l’étrange.
L’école allemande dépasse le réalisme au moment de la vieillesse: le portrait de la mère de Dürer par son acuité annonce l’expressionisme et Otto Dix n’épargne guère la sèche journaliste Sylvia Von Harden, jusqu’au pli de ses bas. Le maître de la gravure dans sa représentation du péché d’avarice a insisté sur le corps dégradé d’une femme aux seins flétris, 
« L’affreuse duchesse » de Quentin Metsys qui ne se rend pas compte du ridicule de ne pas accepter son âge. Les décolletés chez Goya sont horrifiques et à la question du miroir : « que tal ? »(comment ça va ?) Le spectateur répond « très mal ». Le temps représenté derrière les deux coquettes va déblayer d’un coup de balai « l’âge d’or » en mousseline.
Les hommes ridés, plissés, sont mieux traités: Saint Jérôme du Caravage est un sage investi d’une mission.  Par contre, « la maturité de la femme est la marque de l'inflation de sa folie », bien que la Marie Madeleine de Donatello sanctifiée par les privations, les souffrances, conserve intactes ses mains en prière alors que tout son corps est appelé vers le bas.
Les beautés étaient opulentes avec Rubens, et  le Ganymède enlevé par un aigle de Rembrandt n’a pas sa perfection mythologique habituelle : le bébé braillard est obèse.
« Le corps idéal peut céder la place aux difformités de la nature » tandis que les nains à la cour d’Espagne sont au côté des princes, ils n’ont pas figure grotesque pas plus qu’ils ne tiennent un rôle de bouffon, ils sont dignes d’être représentés seuls, par Vélasquez ou Ribera dont l’enfant au « pied bot » porte sa béquille à l’épaule et accepte son sort dans un sourire.
Au moment de la naissance de la médecine aliéniste, Géricault produit une série de tableaux saisissants avec des monomaniaques des décorations militaires, du jeu, de l’envie, du vol...
Quand vient la mort, même la vierge chez  Le Caravage, est un cadavre qui n’entre ni en dormition, ni en assomption.
Sardanapale, peint par Delacroix, au sommet de son bucher entraine ses femmes dans la mort : une s’abandonne, une se pend, une autre est poignardée. Au premier plan de « La liberté conduisant le peuple », la mort a frappé  à égalité les adversaires des journées révolutionnaires de 1830.
Dans cette vallée de rides, de souffrances, de mort, l’absurde permet de réagir :
« rien n'est plus drôle que le malheur... c'est la chose la plus comique au monde. » dit Beckett.
Comme Michel Ange se représentant dans la peau arrachée de Saint Christophe dans le jugement dernier, Cranach a mis sa tête coupée sur le plateau d’Holopherne ou de Salomé et le Caravage s’est peint en Goliath vaincu ou en Méduse hurlant. Lucien Freud ou Bacon se sont tendu des miroirs impitoyables. L’irlandais  qui déclarait « Je crois que l’homme aujourd’hui réalise qu’il est un accident, que son existence est futile et qu’il a à jouer un jeu insensé. »
fait se télescoper  les représentations du pape Innocent X de Vélasquez et le bœuf écorché de Rembrandt : son cri est terrifiant.



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