mercredi 31 décembre 2014

Iran 2014 # J 12. Téhéran.

Le musée Abgineh consacré au verre et à la céramique loge dans une ancienne maison qâdjâr, qui fut l’ambassade d’Egypte. Elle a conservé un  magnifique escalier monumental en bois et des parquets qui craquent sous nos pas.  
Par exemple, de multiples vitrines verticales comprenant un seul objet évoquent les piliers de monuments anciens ou la forme d’un plafond, des vitrines en parapluie représentent une tente stylisée. Je retiendrai les verres au long col destinés à recueillir les larmes : « les iraniens aiment le chagrin ».
Comme souvent les objets très anciens apparaissent d’une grande modernité ; les couleurs, la petitesse de certains flacons de beauté, les couleurs, l’originalité des dessins sur les poteries nous intéressent un bon moment.
La muséographie confiée à des italiens met en évidence les magnifiques pièces exposées.
Un peu plus loin, à une petite distance à pied, nous pénétrons dans le musée archéologique construit par un français déjà requis pour le mausolée du poète Hafiz à Shiraz.
 L’architecte a respecté le style du pays dans les matériaux  en briques et  dans la forme du dôme mais l’intérieur s’avère d’une muséographie désuète. Cependant des travaux de rénovation, notamment au plafond, démarrent aujourd’hui, condamnant l’accès à une partie des expositions.
En respectant le cheminement chronologique, on a aperçu de l’art préislamique, d’abord au néolithique dont quelques exemples de poteries monumentales nous surprennent tout autant que leur décorations de plus de 5000 ans B.C ( before Christ) ! Puis nous suivons les différentes époques jusqu’à la dynastie sassanide. 
Nous retrouvons des éléments de Persépolis, une statue de Darius commandée en Egypte et présentant différentes écritures ou hiéroglyphes qui  le proclament roi des rois et deux blocs de goudron servant parfois à recouvrir des statues.
Nous déjeunons au milieu d’un parc un peu sauvage qui possède des volières remplies d’oiseaux (inséparables) et une basse-cour contenue derrière des grillages. Il y a même de faux animaux, zèbres, hippopotames, éléphants sous les arbres. 
Après déjeuner nous  allons au bazar mais beaucoup de boutiques sont fermées car il y a un pont jusqu’à samedi, courant de la fin du ramadan à la fin du week-end (jeudi vendredi). Derrière l’entrée principale du bazar, nous remarquons le côté penché des minarets de la mosquée du shah (mosquée Khomeiny).
Nous marchons jusqu’au palais du Golestân ou « complexe palatial du Golestân » vu sa grandeur. Il date  encore de la période qâdjâr et mélange plusieurs styles. A l’intérieur, nous commençons par regarder le trône en albâtre immense, puis le lieu des repas, sorte de divan en pierre dominant un bassin rafraichissant mais vide aujourd’hui. Des peintures de femmes aux seins nus surprennent et n’ont pas été floutées. Nous entrons dans une autre partie des bâtiments chassés de chaussons enfilés sur les chaussures et gravissons les escaliers. Les pièces plutôt de style occidental sont remplies de mobiliers, de mannequins et d’objets d’art luxueux ramenés par le roi Nasseredin Shah dans ses déplacements. 
On retrouve le goût pour les décorations avec des miroirs qui paraissent amoins élégantes et raffinées que dans la maison marchande de Kashan. Les lustres en imposent avec leurs verroteries.
Avant de quitter le complexe nous longeons les bâtiments en carré  et dont l’un fut pendant longtemps le plus haut de Téhéran. Une vieille dame m’apostrophe gentiment, je ne peux évidemment la comprendre alors avec un geste maternel elle me caresse la joue. Plus loin une ou deux femmes ont revêtu de costumes d’époque et installées sur une banquette face à un plateau de boissons  s’amusent à prendre la pose pour un photographe.
Nous rentrons vers l’hôtel en métro, non pas à cause de la distance mais pour voir. Moderne et propre, chaque rame est constituée de wagons réservés uniquement aux femmes. Nous continuons 10 mn à pied en traversant le quartier des ambassades jusqu’à l’hôtel où nous attend Ali, notre chauffeur, pour atteindre Rudehen (1800m) et nous installer chez lui. 
De nombreux immeubles sont en construction sur les collines désertiques de la banlieue très étendue. L’état construit et vend bon marché les appartements.
Nous retrouvons Hossein sa femme et des cousins dans la  vaste maison
qui domine une petite ville en expansion. Nous sommes accueillis avec des fruits et du jus de fraise glacé consommés sur la terrasse puis nous prenons nos aises : douche, repas sur le divan dehors, à côté d’Ali qui prépare le narguilé tandis que sa femme et Halleh trient les légumes et les herbes du jardin. Nous prenons le repas à l’intérieur, le troisième fils nous rejoint ainsi que la femme de Hossein et la télé tourne discrètement à côté. Nous montons nous coucher. Dans le couloir, Haleh joue les chiens de garde couchée sur un des tapis qui recouvrent  tous les sols de la maison. 

D'après les notes de voyage de Michèle Chassigneux.

mardi 30 décembre 2014

Bandes dessinées 2014.

Ma liste de bandes dessinées préférées de cette année :
Les folies bergères : la guerre de 14, meilleur ouvrage rencontré sur la période.
Bourrasques et accalmies : même lorsqu’il n’est pas à son sommet, Sempé est le meilleur.
L’arabe du futur : sous la ligne claire de ses personnages dodus, une vision acérée du monde.
La revue dessinée : indispensable.
Cette beauté qui s’en va : poétique, au cœur du temps
http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/09/cette-beaute-qui-sen-va-mathieu-berthod.html

lundi 29 décembre 2014

Au cinéma en 2014 :

Ma liste de films préférés de cette année :
Winter sleep : la complexité des hommes et des femmes sur un beau fond. 
Les combattants : une découverte tonique.
Au bord du monde : les clochards maîtres de la nuit à Paris.
Le démantèlement : celui du monde agricole.
Mommy : secouant.
Le paradis : ce n’est pas que pour jouer au cinéphile, d’apprécier un vieux monsieur qui filme si intensément la jeunesse
http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/10/le-paradis-alain-cavalier.html

dimanche 28 décembre 2014

Le capital et son singe. Sylvain Creuzevault.

Habitués à l’indigence du discours politique actuel, comment saisir toute la profondeur de conversations  enflammées à Paris en 1848 et Berlin en 1919 à partir d’un livret de Karl Marx ?
« Le peuple au collier de misère
Sera-t-il donc toujours rivé ?
Jusques à quand les gens de guerre
Tiendront-ils le haut du pavé ?
Jusques à quand la Sainte Clique
Nous croira-t-elle un vil bétail ?
À quand enfin la République
De la Justice et du Travail ? »
Pierre Dupont après l’écrasement de la Commune.
Ce rêve toujours fuyant d’une fin de l’aliénation, d’une mise à bas du capitalisme hante encore combien de Blanqui préparant l’insurrection ?
Ce soir, point de représentation édifiante, le prolétaire n’est pas toujours le bienvenu autour de la table où se disputent ceux qui lui veulent du bien.
L’humanité est violente, injuste, les hommes espèrent.
« Oui mais !
Ça branle dans le manche,
Les mauvais jours finiront.
Et gare  à la revanche,
Quand tous les pauvres s’y mettront. »  
La salle René Rizzardo à la MC2 faisait honneur à son ancienne appellation : « salle de création ». Avec conviction, 13 acteurs excellents, jouant une multitude de personnages, de Spartacus à Lacan, nous ont donné matière foisonnante à réfléchir, rire, nous projeter, nous interroger et nous laisser perplexes.
Les modérés et les révolutionnaires, le capitalisme, le travail, le salaire, la valeur d’usage et la valeur d’échange, les objets, l’Iphone … tout y passe dans un tourbillon. Il faudra aller vérifier comment est morte Rosa Luxembourg mais aussi ne pas rester à constater que la fonction de production a déserté notre pays pour remettre à jour nos logiciels concernant la force de travail et plus value. Sommes-nous  seulement dans un musée à  contempler en vitrine les verres  désormais vides qui nous ont servi à trinquer à l’émancipation du monde ?
Si Piketty a eu tant de succès avec son dernier « Capital », c’est que  Karl 1er  est d’une telle richesse qu’il a pu traverser les siècles. Et il faut vraiment une belle dose d’ambition et d’imagination, quelques bouteilles d’encre rouge, pour évoquer une telle somme de pages exigeantes : prévue pour durer 4h, même réduite à 2h 30, la pièce est roborative mais nous serions encore restés volontiers un moment.

samedi 27 décembre 2014

Une femme fuyant l’annonce. David Grossman.

Livre essentiel, que j’ai mis plus d’un mois à lire, tant je redoutais sa force.
Ora, une mère juive, part loin de chez elle pour échapper à l’annonce d’une nouvelle fatale qui pourrait concerner son fils Ofer engagé dans une opération militaire.
Il faut bien 780 pages pour suivre à la trace cette femme et le vrai père du jeune soldat, dans de magnifiques paysages.  
Même si : «  C’est grandiose ici ! s’extasie Ora, d’une voix embarrassée, comme si elle contemplait un paysage destiné à quelqu’un d’autre. »
Les mots sont là pour repousser la mort, et chacun d’eux est choisi :
« Il y a aussi une coupe de taboulé concocté à sa façon, pour lequel Ofer se ferait tuer- ou plutôt qu’il aime à la folie, se reprend-elle sur- le-champ, pour sa gouverne. »
En coupant toute communication avec le monde, elle se rapproche de son fils, et d’elle-même, après une vie tumultueuse où se croisent la folie, la violence, la culpabilité, l’amour, les amours. Elle n’a pas vécu avec celui qui la suit dans sa marche, homme dévasté qui semble se reconstruire peu à peu auprès de cette femme à la fois fine et fragile. Un autre homme, Illan, a élevé avec elle deux enfants, ils viennent de se séparer.
Dans cette histoire élémentaire aux dimensions à la fois mythologiques et très incarnées, même dans des coins de nulle part, le conflit avec la Palestine traverse douloureusement l’intimité de chacun.
Il n’est pas question que de fusion mère/enfant, de la liberté de l’amante, de la complexité de l’éducation, de la vigueur des femmes, mais aussi du temps qui a passé :
« On prend congé de soi-même avant les autres comme pour atténuer le coup fatal »
Même les chemins parlent hébreu, ils nous parlent :
« Le rrrsh-rrrsh des semelles raclant la terre » […] Il s’emballe à l’idée des mots jaillissants de la poussière, rampant hors des crevasses de ce terreau aride et raviné, projetés dans les airs par la fureur du hamsin, parmi les chardons les ronces et les épines comme des nuées, des criquets ou des sauterelles. »
Alors que l’auteur, militant de la paix, pensait « que les pages qu’il rédigeait le protégeraient », un de ses fils a été tué pendant la guerre au Liban en 2006, avant la fin de la rédaction de cet ouvrage inoubliable qui nous emmène bien au-delà d’un pays si petit, tout en rendant compte intensément de son drame permanent, où à chaque pas les randonneurs croisent des plaques commémorant les morts pour défendre quelques arpents de terre.
Rien que le titre ouvre vers l’universel et nos terreurs privées.

vendredi 26 décembre 2014

Noël est un bloc.

Comme Clémenceau le disait de la révolution française : « la Révolution est un bloc, un bloc dont on ne peut rien distraire car la réalité historique ne le permet pas », il me prend de penser qu’il peut en être ainsi de Noël et ce ne serait pas qu’un bloc de foie gras.
En étant rendu à mon âge, sur la question de l’alter ego du Père Fouettard, j’ai eu le temps de superposer quelques sentiments depuis l’émerveillement enfantin jusqu’à un vif retour à l’âge de père et de grand père, en étant passé par la phase adolescente du mépris pour cette foire consumériste.
Aujourd’hui sous la houppelande rouge sponsorisée par Coca cola, je comprends les cadeaux, les faux pères Noël, et même s’il y a du navrant à revendre sur le site du Bon Coin au lendemain des fêtes.
Moi l’athée, j’ai installé une crèche sous le sapin pour partager une culture avec mes tout petits, comme le dit l’élémentaire Maurice Carême
« La terre est noire ;
L’église, blanche.
Que cache-t-elle
Pour être ainsi
Tellement belle
Dans l’air noirci ?
Rien qu’un enfant
Qui vient de naître
Entre deux bêtes
Si ingénues
Que, dans leur  l’ombre,
Il tient le monde
Dans son poing nu. »
La promesse renouvelée de l’homme qui vient au monde. Depuis la pauvreté la plus sévère, l’espoir.
Ces mots sont usés et sonnent souvent tellement creux dans les églises en voie de désaffection, mais peuvent consoler quand se déchainent les haines, quand progresse l’obscurantisme. 
Oui, autour de la table, on peut prévoir ce qui se dira, quand inévitablement du vin tombera sur la nappe : « il faut mettre du sel ! » comme le rappellent des listes rigolotes sur «  Ce que vous entendrez à Noël ». Et il est à prévoir, que parmi le top 3 des cadeaux les plus redoutés listés par les magazines, je sois sur le podium avec du gel douche et des livres !
Au secours  Jacques Brel dont les bourgeois devenaient si cons en devenant si vieux : je crains avoir pris la place du tonton pontifiant qui me saoulait tant jadis.
Tant de ricaneurs disent aimer la fête, mais surtout un autre jour : ils refusent de se mêler à leurs semblables, s’illusionnant sur leur liberté alors qu’ils sacrifient à l’individualisme du siècle et récoltent la solitude. Celle-ci n’est pas toujours choisie, mais résulte d’un arasement de toute solidarité, de toute tolérance qui consentirait à parler avec ses semblables du temps qu’il fait, en sortant de ses cercles habituels. Le conformisme est toujours celui des autres.
"On refuse d'admettre le fait-même de la diversité culturelle; on préfère rejeter hors de la culture,dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit" Lévi-Strauss
Sous d’autres cieux, je me souviens d’avoir trouvé émouvante la cérémonie des rameaux avec de grandes palmes par les pistes en latérite, alors que le buis de nos contrées me laissait de bois. Nous pouvons sans déchoir, participer à nos rites au cœur de l’hiver, même s’il n’y a plus  guère de saison.

jeudi 25 décembre 2014

Guiseppe Penone. # 2

Comme il le fit avec Polke http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/11/polke-sigmar.html , le directeur du Musée de Grenoble, Guy Tosato a fait part aux amis du musée, avec finesse et pudeur, de sa connaissance intime avec l’éminent sculpteur en place jusqu’en février place Lavalette.
Une page ayant été consacrée sur ce blog à Penone lors d’une riche visite dirigée par Etienne Brunet http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/12/penone-musee-de-grenoble.html, j’éviterai les redites.
Quelques mesures mélancoliques du fameux trio de Schubert en ouverture ont permis par leurs rythmes, d’évoquer l’instinct de vie se dégageant de l’œuvre de ce fils de paysan né en 1947 à Garessio, dans le Piémont. Il n’oubliera pas les techniques apprises lors de son passage à l’académie des beaux arts de Turin mais se défera de tout académisme en retournant travailler dans la nature, sa grande inspiratrice, qu’il continue d’approcher d’une façon très physique.
 Très tôt reconnu, il a été étiqueté « Arte Povera » par l’utilisation de matériaux modestes, en opposition au « Pop art » ou à l’ « art minimal » dont les artistes déléguaient leurs réalisations à la société de consommation ou à l’industrie. 

Déjà exposé du temps du musée place de Verdun, cette fois il s’agit d’un dialogue intuitif, poétique, entre hier et aujourd’hui qui éclaire la cohérence de l’artiste, la diversité des formes d’une écriture sans cesse renouvelée qui va bien au-delà d’une opposition nature / culture comme me l’ont fait remarquer quelques lecteur(e)s attentif(e)s
La première section met en valeur le toucher, primale façon d’appréhender le monde pour le nourrisson à la vue brouillée. Les gestes de l’artiste sont simples : il enserre un jeune tronc, laisse la trace de ses doigts sur la cire qui vient envelopper une branche, met une heure pour tracer le dernier cerne  des « années d’un arbre plus une ». Ses interventions sont légères, conceptuelles parfois, propices à la méditation face à la majesté de la nature, à une vision panthéiste à la mesure du temps infini des temps végétaux. 
La peau est évoquée ensuite, qui  renferme et protège les fluides, sève et sang, aux compositions si proches.
« Ce qu’il y a de plus profond chez l’homme c’est la peau »  écrivait Paul Valéry
Puis le souffle, celui de la divinité donnant la vie à partir de la terre, celui des feuilles dans un rapport consubstantiel  entre l’homme et la forêt.
Les trois règnes : minéral, végétal et animal passent de l’un à l’autre et laissent des empreintes.
Les arbres arrachés à leur devenir d’objet, réapparaissent ; le sculpteur est là pour faire advenir la forme.
Jeune homme, il avait« renversé ses propres yeux », en posant des lentilles réfléchissantes qui le rendaient aveugle ; en se tournant vers l’intérieur, allait-il voir d’une façon plus pénétrante l’extérieur ?
Quand il célèbre les arbres, il sort de la représentation, et va contre les éléments, tout contre, il les enveloppe, les manipule.
« Le sceau » qui a été présenté à Versailles dans le prolongement du grand Canal déroulait alors son tapis dans l’infini du temps et laissait imaginer, en plein air, la genèse de la planète.
Ici les traces répétitives des veines inscrites dans le marbre dialoguent avec la « peau de graphite » dont « l’obscure clarté » remonte aux métamorphoses qui firent naître le charbon à l’abri de toute lumière.
Dans une ultime intervention, Penone fige une poignée de glaise et la met en valeur dans un papier d’aluminium comme le fit Véronique et son voile pour révéler le visage de souffrance du Christ.
L’autre jour quand j’eus tourné les talons, mon petit Nino, lui  a chopé la terre des pots de fleurs dans son petit poing et l’a ingérée en un geste furtif et radical.
Penone, lui, parle de ses pierres, en exposition permanente  au musée :
 « faire une pierre en pierre, c’est la sculpture parfaite, elle redevient
nature, elle est patrimoine cosmique, création pure, la dimension naturelle de la bonne
sculpture lui donne une valeur cosmique. C’est être rivière la vraie sculpture de pierre. »

mercredi 24 décembre 2014

Iran 2014 # J 11. Kashan/Téhéran

Après un petit déjeuner dans le patio en contrebas de l’hôtel, nous attaquons les visites par notre mosquée quotidienne, la mosquée Āghā Bozorg . Elle se distingue des autres par sa porte cloutée (6666 clous autant que les versets du Coran) indestructible et sa madresseh  d’un étage en contrebas.
Construite au XVIII° siècle en briques sobres, quelques faïences aux figures géométriques simples et des peintures décoratives beaucoup plus fines l’agrémentent.
Outre ses deux minarets habituels, elle en possède deux autres reprenant les mêmes faïences géométriques mais aussi deux tours du vent pour rafraichir entre autres une citerne, preuve si nous ne nous en étions pas rendus compte de la chaleur estivale du lieu.
Vient ensuite la visite d’une magnifique maison de commerçant de l’époque qâdjâr (19° siècle) nommée maison Abbassian et dont la partie concédée aux domestiques est aujourd’hui transformée en restaurant, celui où nous avons dîné hier au soir.   
C’est un foisonnement de pièces sur plusieurs niveaux insoupçonnables de la rue car les maisons s’étagent en contrebas, cherchant la fraîcheur et la discrétion.
Tout est prévu, cuisine, buanderie, vaisselle, caves, celliers, canaux souterrains assurant la fraîcheur. Les murs de la demeure pratique et luxueuse sont recouverts de décorations en stuc. Il y a même une pièce prévue pour protéger les bijoux offerts aux femmes par les négociants reçus pour affaires et qui se reposaient plusieurs jours ainsi qu’une cour pour garer les ânes et mulets.
La splendeur s’expose à l’intérieur, vitraux, décorations délicates avec des miroirs qui remplacent faïences ou peintures, pièces comportant cinq portes pour les femmes patriciennes. On passe d’un niveau l’autre par des marches démesurément hautes et il faut veiller à ne pas se cogner la tête. Beaucoup de touristes, surtout iraniens, visitent cette demeure digne d’un roi, dommage qu’il ne reste pas plus de meubles pour la rendre vivante.
Un artisan tisse sur place des foulards et des manteaux sur un métier vieux de plus de 1000 ans et nous montre la différence entre les navettes anciennes et modernes. Nous remontons à la surface, attendus à la sortie près de la résidence des domestiques, par un verre d’eau de rose glacée qui nous permet d’affronter la chaleur de la rue. En chemin un homme nous invite à visiter la vieille maison de sa mère cachée derrière un banal mur de torchis. La demeure nécessite beaucoup de travaux de réparation,mais elle possède en contrebas un verger appréciable où un vieil homme travaille au déblaiement de matériaux.
Dans le bazar les magasins ouverts sont surtout des primeurs et des bijouteries. Nous tombons sur un ancien caravansérail magnifique transformé en marché d’antiquaires. 
C’est le même lieu que nous avons pu observer hier soir et que nous avions pris pour une mosquée désaffectée. Nous chinons, cloches et poteries.    
Nous abandonnons le bazar car les boutiques ferment rapidement pour prendre la direction de Bàgh-e-Fin, le jardin du roi.Cet endroit lui aussi très fréquenté par les touristes iraniens est cerné de voitures et de restaurants. Nous en choisissons un et assis sur des divans nous absorbons un kebab haché riz pas terrible. Nous nous promenons dans le jardin qui réunit des éléments des périodes safavide, zand et qadjare que le shah Abbas appréciait particulièrement.
Des canaux aux petits jets bouillonnants chantent gentiment et rafraîchissent les gens qui trempent leurs pieds nus, en chaussettes ou en chaussures sous les cyprès bien alignés.
Il y aussi un hammam désaffecté plein de coins et de recoins dans lequel l’empereur fit assassiner en 1852 un chancelier trop populaire.
Il est déjà 16h 30, il est temps de prendre la route de Téhéran pour un trajet de 4h.
Peu avant d’arriver à la capitale nous sommes impressionnés par le mausolée de Khomeiny, grandiose en plein travaux d’agrandissement ; Chaque anniversaire de la mort de l’ayatollah, en juin, de nombreux pèlerins n’hésitent pas à parcourir 1000 km à pied pour lui rendre hommage. Nous pénétrons dans la ville sans trop d’embouteillages, ville qui en 2006 s’étendait sur 50 km d’est en ouest et 30 km du nord au sud. Le centre ville est animé, de grandes marques s’affichent en pleine lumière : Canon, Panasonic, Samsung.
Un bazar est consacré uniquement aux téléphones portables. Nous logeons à l’Hôtel New Naderi. dans une petite ruelle calme perpendiculaire à une grande artère et nous libérons Ali notre chauffeur qui a encore une heure de route pour rentrer chez lui et Haleh qui a une réunion à 23 h ce soir. Elle nous a commandé un repas de poisson et nous remercie de pouvoir s’échapper. 
D'après les notes du carnet de voyage de Michèle Chassigneux.

mardi 23 décembre 2014

La traversée du Louvre. David Prudhomme.

Excellent, succulent, léger et original. Avec seulement quelques mots, cette promenade est enrichissante, poétique et divertissante.
Un musée ne se réduit pas à de grandes cases d’une immense BD. Il comprend  les visiteurs, des rapprochements possibles entre les silhouettes, les passions affutées au contact des œuvres, la profusion des téléphones photographiant ; et le métro à la sortie où se continue la visite.
J’ai pensé à Sempé, c’est dire mon plaisir à la vue de dessins qui emploient toutes les variétés de crayons comme pour effleurer la diversité d’une institution gigantesque avec une virtuosité qui ne se la pète pas. 
Quelques pages documentaires donnent des précisions sur le Louvre : 12 km de galeries, 9 000 000 de visiteurs par an, 2 200 agents y travaillent, 1000 km de papier toilette par mois.
La plus grande œuvre : Les noces de Cana de Véronèse : 70 m 2  .
Si on estime à 10 secondes le temps passé par œuvre exposée (35 000 sur 400 000 conservées), il faudrait plus de quatre jours et nuits pour avoir tout vu.
Quelques images subsistent après cette subtile visite, comme la foule dessinée avec le point de vue de la Joconde ou quand  surgit le cri :« ça a coupé » pour parler d’une communication téléphonique qui prend des allures fantastiques permises dans ces lieux où il est finalement courant de perdre la tête.

lundi 22 décembre 2014

A history of violence. Cronemberg.

Le titre  signifie en anglais « avoir un passé violent » ce qui  laisse deviner un déchainement de brutalités prenant d’autant plus de vigueur qu’elles s’inscrivent en milieu calme et conforme.
Vu sur un petit écran, 8 ans après une sortie célébrée par toute la critique, j’ai mesuré sa force à l’angoisse qui ne m’a pas lâchée pendant une heure et demie.
Le réalisateur canadien aborde frontalement  l’opposition entre la campagne et la ville, les organisations criminelles et la famille, la violence et l’enfance, deux frères. Mais les personnages évoluent et Viggo Mortensen est plus ambigüe qu’Ed Harris en méchant qui nous réjouit cependant quand un café -noir-demandé au bar constitue un morceau d’anthologie.
Maria Bello rejoue le temps chaud du lycée et dans l’escalier la passion sexuelle croise la brutalité.
Aux innocents aux mains sales, la rédemption sera-t-elle permise ?Quel sera l’héritage ?

dimanche 21 décembre 2014

Via Sophiatown. Via Katlehong Dance.

Nous avions tellement été enthousiastes l’an dernier http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/12/katlehong-cabaret.html que nous y sommes retournés les yeux fermés.
Mais comme cette fois le plaisir de la découverte était passé, reste un parfum de déception.
Il y a toujours des danses trépidantes, un entrain qui amène le public à monter sur la scène au moment des rappels, des voix émouvantes, de l’énergie. Pourtant j’hésite à employer ce mot « incontournable » pour tout spectacle, tant la vitalité du groupe semble s’être banalisée. 
Le son moelleux d’un saxo apporte une touche nostalgique tamisant les accents « festifs et rebelles » de la troupe qui vient de passer un an en résidence à Lyon. Des diapositives évoquent furtivement les années 50 quand Sophiatown quartier multiracial de Johannesburg était un creuset créatif et revendicatif. Les accents  de l’époque « happy Africa » ont perdu de leur virulence, les images en couleurs plus récentes paraissent affadies.
Les danseuses ne sont pas anorexiques et elles jouent bien de la cambrure, les danseurs sont épatants quand la musique est vive, quand ils se bloquent pour mieux repartir.
« Hihi ha mama, hi-a-ma sat si pata
Hihi ha mama, hi-a-ma sat si pa »
Miriam Makéba
L’an dernier claques sur les bottes et claquettes aux pieds nous frappèrent, cette fois nous avons assisté à un bon spectacle de music-hall  qui aurait gagné en intensité en allant un peu au-delà d’une petite heure de représentation.

samedi 20 décembre 2014

Almanach dauphinois 2015.

Proverbes :
« Qui n’ espère rien est capable de tout »
Conseils :
« En novembre : surveiller les vins nouveaux. Ouiller c'est-à-dire remplir les fûts au fur et à mesure que le liquide s’évapore : tous les jours pendant une semaine. »
Dictons :
« Est à la terre la gelée, ce qu’est au vieillard robe fourrée »
Blagues :
«Lors de la remise des copies, le professeur fait la remarque suivante :
- Ton voisin et toi Fafois, vous avez fait exactement les mêmes fautes.
Comment l’expliquez-vous ?
- Nous avons le même professeur m’sieur. »
La livraison du numéro annuel de la publication des 130 pages où une vieille à son rouet annonce la nouvelle année 2015 est tellement hors du temps, qu’elle peut accompagner aussi des tendances très contemporaines avec les cousinades, la prolifération des centenaires et le rappel  que l’anniversaire moderne « expression de l’individualité apparait avec l’humanisme de la renaissance, d’abord réservée à l’aristocratie, l’habitude gagne la bourgeoisie au XIX°. »
«Les cadeaux pensez-donc ! »
Plus que les rubriques consacrées au patois et ses variations :
assieds toi : « assète-te » à Vinay et « chiéta-te » dans les terres froides,
me régalent les expressions telles que « donner la main » pour aider, ou « la barôte » pour une petite charrette.
Si l’évocation d’une  vie à la campagne enfuie s’éloigne encore plus, nous pouvons cependant goûter le récit de la venue de Gambetta au théâtre de Grenoble :
«  A en croire les témoins plus qu’une ovation ce fut un délire indescriptible : la reconnaissance envers Léon Gambetta, enfant du peuple d’origine italienne devenu l’une des figures tutélaires de la république française. »
Dans la rétrospective de l’année écoulée ce n’est pas inutile de se souvenir qu’il faisait 35 degrés à Grenoble le 9 juin et cinq jours après un orage d’une rare intensité accompagné de grêle a provoqué de nombreux dégâts à Saint André Le Gaz.
Un reportage est consacré à la ville de Die construite au pied des falaises du Glandasse, place de sureté huguenote, la clairette en est devenue l’emblème, alors que ce coin de Drôme est en pointe pour les terres agricoles converties en bio.

vendredi 19 décembre 2014

Nota bene.

Sur un air aux notes nostalgiques, quelques mots sur le débat au long-court concernant les notes à l’école, en cours d’être soldé.
Dans cette affaire comme dans celle des rythmes, quand les syndicats sont absents du débat, les médias mènent la danse.
Lorsque le Dauphiné Libéré donne la parole à des passants sur un coin de trottoir, aucun enseignant n’a dû se trouver à proximité de micro du paresseux rédacteur.
Par ailleurs, le mérite des séquences des journaux télévisés de France 2 est leur côté sommaire qui ne demande aucun talent pour en déceler les grosses ficelles.
Ainsi il convient de comprendre : La notation de 0 à 20 c’est du passé : filmé en noir et blanc, un enfant en culotte courtes à la voix encore plus nasillarde qu’Elise Lucet voudrait complaire à ses parents, le pauvre ! L’avenir est à la couleur : vert, orange, rouge.
Le code binaire de la route devient le code de nos civilités simplifiées.
Comme si une note pouvait  être traumatisante si le climat de la classe est à la confiance.
Cette société rétive à la solidarité, où l’impôt est désormais si mal vu, aime se bercer parfois de compassion. Elle se voudrait du côté des découragés par l’école, des dégradés du savoir,  alors qu'elle les méprise.
Après un Téléthon qui a côtoyé un concours de miss évaluées en cm (centimètres), des potaches fatigués par leur week-end, mais très peu par les devoirs que des professeurs sadiques voudraient encore leur imposer, vont affronter quelques adultes attachés à les humilier : les profs !
C’est ainsi qu’est présenté l’enseignement qui fatigue et déprécie ses enfants.
Le temps consacré aux études diminue, l’école ne donne plus le tempo, elle  court, le souffle court derrière la dernière mode, n’ose plus rien dire. Les agences de notation notent, PISA classe, les films s’étoilent, les sondages mesurent, Zlatan avec 9,5/10 humilie se camarades, Jean Eude  lui est « en cours d’acquisition » dans bien des « domaines de compétences », heureusement en LEP  il peut grappiller deux points en français, s’il a bien rangé sa chaise  (authentique)…
Des élèves sont en souffrance, pas forcément à cause de l’éducation nationale, mais faute parfois d’éducation par des parents qui n’ont jamais envisagé de devenir adultes. L’institution  a multiplié les dispositifs aidants, de classes-passerelles en notations lissées, et bien que les valeurs attachées au travail soient discréditées, tout le monde n’accèdera pas  forcément à un poste de « Commercial » horizon de notre société, surtout pas prof!
Quand on sait toutes les potentialités d’un bébé, l’appétit des petits à apprendre et qu’on parcourt à nouveau tant de vaines querelles, vous saisit la tentation du silence, contrarié!
Et dire que c’est encore l’école privée qui va bénéficier de tous ces remèdes fallacieux !
…………
Pour dire mon décalage : il y a eu parait-il une circulaire envoyée aux écoles  l’an dernier pour déconseiller les décorations de Noël. Non pas la crèche, évidemment, mais le sapin et le bonhomme au bonnet rouge… même pas un petit poème. Le bonhomme de neige aurait-il besoin d’une certification ? Et on ne nous a rien dit !
............
Le dessin du haut est  pris dans « Le Canard » de la semaine , celui ci bas dans « Courrier International » qui révise l’année écoulée.

jeudi 18 décembre 2014

Vermeer. S. Legat.

Après Hals et Rembrandt, Serge Legat clôturait le cycle des conférences concernant « l’âge d’or » Hollandais par Jan (Johannes) Vermeer avec en introduction, le tableau de la « Jeune femme jouant de la guitare ».
Le regard de la musicienne ne rencontre pas celui du spectateur, elle se retourne et laisse la place à toutes les interprétations. Souvent on retrouvera caraco jaune et fausse fourrure sur les épaules d’autres jeunes femmes, sujets de la plupart des portraits du maître de Delft. Le tableau échappe à la moralisation comme dans la plupart de ses toiles souvent reprises où il a usé de repentirs et fait disparaitre bien des détails significatifs qui pourraient expliciter les sujets.
L’émotion de ceux qui ont croisé son œuvre n’est pas proportionnelle au nombre de ses tableaux, seulement une trentaine.  En 1675, il meurt à 43 ans, laissant 12 enfants à sa femme Catherina, au bout d’une vie dont on sait peu de choses.
Ainsi retrouver ses maîtres, les archives ayant été dispersées au moment de l’invasion des français, relève de l’interprétation. Fabritius, celui du  trompe l’œil « le  chardonneret », l’aurait influencé et réciproquement, ainsi que Pieter de Hooch et ses perspectives lumineuses. Il aurait eu connaissance de l’école d’Utrecht aux connotations caravagesques par sa belle mère  par ailleurs déterminante dans sa conversion au catholicisme.
Le tableau religieux Marthe s’active et Marie écoute la bonne parole « Le christ chez Marthe et Marie » est monumental, comme la scène mythologique « Diane et ses nymphes » est puissante, dans la manière de ses débuts qui gagnera plus tard en finesse et en légèreté.
Puis viennent les scènes de genre : «L’entremetteuse » est explicite, si le musicien fait le lien avec le spectateur un magnifique tapis oriental occupant une grande partie de l’espace rend les personnages inaccessibles.
Est ce « La leçon de musique » ou un duo qui s’apprête ? Le dallage sombre et veiné donne une perspective forte. Un petit trou dans la manche gauche de la jeune femme se situe à l’emplacement des lignes de fuites où des fils se rejoignaient. Le décor domestique se retrouve dans d’autres tableaux dans lesquels la musique signifie l’harmonie amoureuse. Il est plus convenable de jouer du virginal, que de se pencher sur un luth, sans même oser une quelconque figure québéquoise qui rimerait en « lute ». Dans le miroir se devine un piétement de chevalet. Le peintre s’avance mais ne se montre pas, il n’a pas réalisé semble-t-il d’autoportrait.
 Dans « La lettre d’amour »,  la servante goguenarde, ne s’occupe guère de son ouvrage, elle apporte sans doute de bonnes nouvelles : la mer est calme sur le tableau en arrière plan. Par contre aucun indice pour « La liseuse à la fenêtre », Cupidon a disparu derrière un rideau alors qu’il brandissait une carte portant le 1 de l’amour unique pour une « Jeune femme debout au virginal ».
 " La liseuse en bleu " sans doute enceinte, tient la lettre de ses deux mains, elle est solide devant la carte de La Frise d’un hollandais fier de l’être ; la sobriété ajoutant à la sérénité, à la force de la scène. Si le thème de la lettre apportée devant la fenêtre pour être lue ou écrite a souvent été traité, quelques femmes ont un verre à la main, une est poussée à boire dans « Le soldat et la jeune femme souriante ». «La jeune fille endormie » attend-elle un amant,  ou a-t-elle trop bu ?
Elles peuvent se laisser séduire par des valeurs terrestres, quand l’une pèse des pierres précieuses à « La balance »  devant la représentation du jugement dernier, ou lorsqu’une autre admire un « Collier de perles ».

« L’astronome » et « Le géographe », sont les rares hommes représentés, chacun avec son globe, alors qu’un autre globe de verre suspendu à un cordon bleu reflète la pièce magnifiquement dans une « Allégorie de la foi »  déjà surchargée. L’esprit humain est bien petit pour comprendre la grandeur de Dieu.
Je ne suis pas d’accord avec le conférencier lorsqu’il se plaint de l’utilisation de « La laitière » par la publicité, car la culture pour moi c’est justement reconnaître. Un enfant qui croise la lumière de cette icône mise à sa disposition, en dehors des lieux réservés, peut être amené plus tard à aller plus loin sur les chemins de la sensibilité artistique. La servante a un rôle central parmi une ponctuation de points lumineux où s’allient une fois de plus le bleu et le jaune. Une caméra obscura a été utilisée à plusieurs reprises.
« La dentelière »  au carreau appuyé sur la bible exerce une activité digne ainsi que la pratiquait Marie, Renoir y voyait le plus beau tableau du monde.
« La jeune femme à la perle » était « la Joconde du Nord » pour Malraux et Paul Valéry aimait tant la « substance tendre et précieuse » de son visage.

En extérieur «  La ruelle » intime et sereine et « La vue de Delft » jouent un peu avec la vérité.
Proust dans la recherche du temps perdu  fait mourir Bergotte  devant  le fameux « petit pan de mur jaune » :
« Enfin il fut devant le Ver Meer, qu’il se rappelait plus éclatant, plus différent de tout ce qu’il connaissait, mais où, grâce à l’article du critique, il remarqua pour la première fois des petits personnages en bleu, que le sable était rose, et enfin la précieuse matière du tout petit pan de mur jaune. Ses étourdissements augmentaient; il attachait son regard, comme un enfant à un papillon jaune qu’il veut saisir, au précieux petit pan de mur. « C’est ainsi que j’aurais dû écrire, disait-il. Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleur, rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune. » Cependant la gravité de ses étourdissements ne lui échappait pas. Dans une céleste balance lui apparaissait, chargeant l’un des plateaux, sa propre vie, tandis que l’autre contenait le petit pan de mur si bien peint en jaune. Il sentait qu’il avait imprudemment donné la première pour le second. »
Le peintre du silence qui s’est approché si bien de ses personnages, a nourri ses suivants comme Van Gogh, et il est classé par Dali comme le premier d’entre eux, se réservant lui la septième place juste devant Picasso. Des livres et des films se multiplient encore aujourd’hui  à partir de ses mystères féconds où le charnel ne supplante pas le spirituel, et le réel n’étouffe pas l’illusion.