jeudi 31 mai 2012

Musée d’art et d’industrie de Saint Etienne.

La rénovation de Jean Michel Wilmotte en 2001 en apportant confort et élégance n’a rien enlevé à la majesté du bâtiment qui offre une approche du passé industriel de la ville avec ses cycles, ses rubans et ses armes.
La déambulation est agréable, la tendance actuelle de soigner l’esthétique des présentations mettant en valeur la précision du travail des ouvriers, place ce bref compte rendu de visite dans la rubrique « beaux arts » de ce blog.
La virtuosité des créateurs de rubans rejoint celle des graveurs de fusils. Un étage est consacré aux fins tissages qui s’offraient à une jeune fille alors qu’au troisième étage au bout du canon, fut-il damasquiné, c’était la mort, la promise.
Sous les voûtes du musée, sans nous enfermer dans un peloton trop fourni de vélos, nous pouvons voir les évolutions depuis la draisienne jusqu’aux prototypes les plus audacieux. Les lignes pures d’un monocycle du XVIII° siècle sont magnifiques, mais l’efficacité ne sera pas toujours au rendez vous de toutes les inventions, telle une machine à courir qui sollicitait aussi le mouvement des bras. Les bicyclettes qui ont succédé au vélocipède s’appelaient « Hirondelle ».
Au niveau 1 : nous pouvons tirer de grands tiroirs pour découvrir la variété des rubans, et admirer des maquettes qui nous font comprendre l’ingéniosité dans la conception des mécaniques produisant de délicats motifs, aux couleurs subtiles.
Le savoir faire des artisans est manifeste également dans les armes blanches ou à feu qui sont présentées à l’ultime étage. L’apport d’artistes contemporains qui amènent de l’ ironie est bienvenu au cœur des expositions de rapières, dagues, épées, pistolets, canons et carabines...

mercredi 30 mai 2012

« On refait le voyage » : Saint Petersburg 2004 # 10

Nous nous engouffrons dans le métro en direction de la Laure Alexandre Nevski 
(Laure = monastère important). 
Nous voulons surtout visiter le cimetière célèbre pour ses illustres locataires. 
Nous commençons par celui de droite après avoir acquitté les droits d’entrée. 
La neige qui tombe accentue le côté romantique de la promenade, et absorbe le bruit de Nevski Prospekt qui passe pourtant tout près. 
Le gardien repère vite nos appareils photo, et nous réclame 30 R pour le droit de photographier, comme dans beaucoup d’endroits. 
Le noir des tombes ressort dans la blancheur ambiante, les plus jolies sont en bois sculpté. 
Il n’y a  là que du beau monde, artistes, peintres musiciens (Tchaïkovski, Borodine, Moussorgski, Rimski-
Korsakov, Glinka, Dargominski reposent dans le même quartier), écrivains surtout Dostoïevski. 
Dans l’autre cimetière à gauche sont accueillis plutôt les architectes de la ville, avec des espaces plus réduits entre les tombes.
Nous poursuivons notre chemin jusqu’à la Laure, payons les droits d’entrée à un pope abrité dans une guitoune de bois et nous avançons dans une enceinte carrée de bâtiments roses du 18e siècle incluant la cathédrale et un petit cimetière central. Nous rentrons nous reposer un moment dans la cathédrale ; elle ressemble plus à une église catholique qu’à un lieu de culte orthodoxe, à cause de la présence dominante de tableaux. Mais nous ne pouvons juger de l’ensemble car un magnifique échafaudage de bois encombre toute la nef.
Les « monks » (et non pas monkey !) vendent petits cierges et icônes, les croyants s’affairent à noter sur papier les noms qu’ils vont confier au pope intercesseur ; ils embrassent les tableaux, se signent à l’envers par rapport aux catholiques ; ici, ce n’est pas un musée, mais un lieu de culte en activité.
Nous rentrons tranquillement à pied jusqu’à l’hôtel, pas très loin, pour voir cette autre section de la Nevski Prospekt, chic et clean. Nous entrons en passant dans la gare de Moscou, dont l’intérieur une fois de plus n’est pas banal ! (Salle d’attente luxueuse). Nous consacrons la fin d’après midi à quelques achats, peu nombreux, l’artisanat offre moins d’intérêt qu’à Novgorod ; et sous une neige brillante et drue, magique, nous nous dirigeons vers la maison des blinis (Blini Domik) recommandée par Irina et le routard. L’endroit est agréable, chaleureux dans un décor en bois. Un bon pianiste improvise dans son coin, sur des standards connus, pour des étudiants et des familles qui se restaurent. C’est plein ; nous mangeons des blinis salés et sucrés accompagnés d’un verre de vin géorgien au goût de jus de raisin sucré. Dehors, tombent inlassablement les flocons qui brillent comme des cristaux, un autochtone dérape sur une plaque de gel comme un touriste inexpérimenté.
T° aperçue aujourd’hui sur un panneau lumineux : -8°

mardi 29 mai 2012

La campagne présidentielle. Mathieu Sapin.

Le regard candide de l’auteur de bd « embedded » qui travaille pour Libération convient bien pour se souvenir de ce bon moment : la victoire de Fanfan qui parait inéluctable à la relecture mais qui nous valut quelques angoisses, tant les défaites répétées depuis des années nous avaient rendus craintifs.
Dans sa situation d’amateur maladroit, le jeune chroniqueur à la calvitie naissante nous rend accessible Monsieur le Président de la République, malgré tout le staff dont la vie est intéressante pour qui aime la politique.
Pas de scoop, pas de malveillance, le récit de 200 jours où le candidat de la gauche fait preuve d’une santé impressionnante réhabilite l’engagement public en l’abordant depuis les coulisses qui ne sont pas parsemées seulement de pétales de roses.

lundi 28 mai 2012

Festival de Cannes 2012.

L’échantillon porte sur 18 films, alors cet article tiendra plus du jeu que d’une vision générale des films de cette année.
Quelques jeunes personnages principaux montrent des signes d’immaturité, ce sont des cœurs simples face à la complexité du monde : du candide amusant (Love birds) jusqu’au mineur qui a commis une faute majeure et doit être exécuté (Les enfants de Belle Ville).
Nos enfants qui cherchent ou défendent leur place dans une société déboussolée subissent le poids du groupe : Les voisins de Dieu, The Wee and the I,
du voisinage : Broken.
Ils sont sauvages : Los Salvajes.
Leur singularité : pensez donc ! Des jeunes qui aiment leur travail mais qui ont la tête près du bonnet (Face to face), avec aussi ce pêcheur témoin d’un monde épuisé où la misère du monde s’échoue sur les belles plages dans Terra ferma.
Une photographe à ses débuts dans Historias trouve sa voie et assume l’héritage dans un village éloigné du Brésil, comme le cinéaste facétieux de La vierge, les coptes et moi qui amène avec lui le cinéma faiseur de miracles.
Le miracle n’est pas au rendez-vous avec Surviving Georgia, mère indigne comme celle de Casa Nostra, voire Charlotte Rampling dans The eye of the storm.
Mes films préférés Face to face, Casa nostra, La vierge, les coptes et moi ne se résument pas à ces caractéristiques.
Par contre il s’en faudrait d’une bouteille de vodka à vider pour apprécier Russian Snark,
un oreiller confortable pour résider plus longtemps au Mékong Hôtel
 et un DVD pour revenir à un vrai film noir que n’a pas réussi à être le colorisé The tender Hoock.
Dans les voyages que permettent ces films en ribambelle, Monsieur Lazhar, film de la belle province où intervient Fellag, porteur de belle langue française, soulève des problèmes pédagogiques passionnants tels les rapports au corps.
Ceux-ci n’atteignent certes pas l’hystérie des cousins juifs ou musulmans (Les voisins de Dieu, les enfants de Belle Ville) mais pèsent sur les vies, jusqu’à la mort. Les bédouins privés d’eau et de sol ont d’autres soucis élémentaires, il leur reste leur dignité pour affronter les forces du désordre israéliennes : Sharqiya.

dimanche 27 mai 2012

Galliano Sextet. From Bach to Piazzolla.

Non pas John … Richard,  à la MC 2, celui qui a accompagné Gréco, Reggiani, et Nougaro .
D’ailleurs qui s’en souvient puisqu’on a souvent mis en avant ses comparses de micro ou ceux qui jouaient des instruments à cordes ?
Il substitue l’accordéon au hautbois, au clavecin dans des concertos de Bach avec lequel il évite justement les morceaux destinés à l’orgue qui rappelle trop précisément « le piano à bretelles ».
Mais l’instrument des bals musette ne se défait pas aussi facilement de ses complexes : est ce que tous les morceaux classiques s’accommodent de ses soupirs ?
Le public a visiblement apprécié qui reprend « La Javanaise » après deux rappels.
L’interprète chaleureux est aussi compositeur qui joue sur la nostalgie aux accents tziganes avec l’évocation de Montmartre, ou dans des blues.
J’ai aimé les mouvements lents et quand après l’effusion viennent quelques notes ténues.
 Il rend avec virtuosité des sons jazzy et nous fait traverser l’océan vers son maître Piazzolla.
Le morceau de l’argentin qui aimait la pêche aux requins, intitulé « Escualo» nous apaise après une bordée de sentimentaux tangos.

samedi 26 mai 2012

Un Américain bien tranquille. Graham Greene.

Ce titre « me disait quelque chose », mais quelle jubilation de le découvrir et d’entrer immédiatement dans une histoire qui ne m’a pas lâché tant que je ne suis pas arrivé à la 253° page !
De la tension et de la langueur, de la limpidité et de l’ambigüité, un élégant détachement et de l’engagement, désabusé et lucide, humour et tragédie d’un destin implacable.
 La restitution de l’atmosphère du Viet Nam est sobre au moment où les américains vont succéder aux français dans une colonisation impossible.
Années 50. Reportages en 2011 : kif kif.
Les dialogues sont au cordeau, les portraits efficaces :
« C’était un homme qu’on oubliait toujours. Encore aujourd’hui je suis incapable de le décrire, je ne me rappelle que de son obésité, ses joues rasées de près et poudrées, et son gros rire ; son identité entière m’échappe. Je sais seulement qu’on l’appelait Joe. Il y a des hommes dont les noms sont toujours abrégés. » 
Les belles femmes y sont secrètes et fascinantes, la vie douce et terrible.
« Au moment même du choc, on souffre peu ; ma souffrance arriva vers trois heures du matin, quand je me suis mis à arranger la vie que, d’une façon ou d’une autre, il me faudrait vivre, et à classer mes souvenirs afin de les éliminer, je ne savais par quel moyen. Les souvenirs heureux sont les pires, aussi essayai-je de me rappeler les mauvais » 
La puissance de la dénonciation d’une guerre absurde n’est pas convenue, elle est au cœur d’un chef d’œuvre.
« - En un sens on pourrait dire qu’ils sont morts pour la démocratie, dit-il. 
- Je serais incapable de traduire cela en vietnamien, dis-je »

vendredi 25 mai 2012

Internet écrit-il la fin du livre ?

Premier débat au forum de Libé, d’une série de dix, après une introduction générale avec N. Demorand et G. Collomb où est évoquée la technologie qui pourrait amener l’énergie venant du soleil du Sahara vers nos métropoles alors que l’entreprise Photowatt dans les parages à Bourgoin était à plat et qu’il y a bien du travail pour remettre debout une filière photovoltaïque.
Quand l’état nation ruiné, essoufflé est bousculé, l’espérance se porte vers « Les Nouvelles frontières » titre de la saison 2011 du forum de Libé à Lyon.
« Une idée forte communique un peu de sa force aux contradicteurs » M. Proust
La filière dont il est question dans ce débat autour du livre est celle qui regroupe auteur, éditeur, libraire, défendue par le PDG actuel de la FNAC qui proposait alors sa « liseuse » numérique complémentaire du livre disait-il. Le vilain pour lui : le pure player Amazon.
Les incunables sont remis à jour, « la numérisation donne une vie nouvelle aux textes » plaidera le directeur de Google France, faisant valoir son partenariat avec les bibliothèques de Lyon.
Mais ce qui est bon pour les auteurs morts peut mettre les auteurs vivants en difficulté.
C’est Olivier Poivre d’Arvor plus dense que son frère qui défend le livre en papier.
« On peut regarder un film porno, mais faire l’amour c’est mieux »
 L’objet sacré, souvent recommandé par un ami de son réseau social avant que le mot soit pris dans la toile, n’a pas tué le manuscrit.
L’écriture est vieille de 4000 ans, l’imprimerie de 550 ans, Internet de 35 ans et la toile a 20 ans.
Internet n’a pas tué la télévision qui n’a pas tué le cinéma qui n’a pas tué le théâtre.
La résistance du cinéma français face à des entreprises mondialisée peut servir de modèle alors que le contre exemple serait l’industrie du disque écroulée.
…..
Le dessin du Canard

jeudi 24 mai 2012

100 photos de Martin Parr pour la liberté de la presse.

Pour Reporter Sans Frontières, le photographe anglais a offert 100 photos qui donnent à réfléchir sur le tourisme, en vente chez les marchands de journaux : un soutien à l’organisation qui précise que dans le monde « un acteur de l'information est tué tous les cinq jours »
Des plages d’Angleterre à celles de Bali, des foules à Shanghai ou Venise, en des lieux remarquables sur l’Acropole ou le Machu Pichu, nous rencontrons les stéréotypes des photographes autour de la tour penchée de Pise, avec les vendeurs de babioles à Venise, sur fond de couleur rose à Disneyland.
Les rapports de domination en Turquie, la tristesse en Thaïlande, le mauvais goût, l’indifférence, l’obscénité. J’ai été de ces touristes, comme lui, avec ma casquette qui fait tache dans des lieux sublimes.
Nous sommes au monde, nous l’admirons et l’abimons, nous sommes contents d’arriver dans la carte postale dont nous rêvions mais elle est submergée par les faiseurs et les marchands de clichés.
L’humour peut-il nous sauver ?
Le tourisme fait vivre des millions de personnes et il dégrade l’objet même de ses revenus.
« Le tourisme est le plus grand secteur industriel du monde : même le pétrole ne peut rivaliser, au contraire, il est en grande partie utilisé par cette industrie. »

mercredi 16 mai 2012

Vous avez dit « digne ».

Le niveau du débat au soir des élections présidentielles, où il y avait plus de motos que d’analyses, m’éloigne de toute pudeur pour mettre en ligne quelques mots.
In extrémis, le candidat de droite est apparu comme un président « digne », en demandant le calme à ses partisans hystériques. Mais qui les avait excités et qui dénie aux autres l’amour de leur pays ?
Ces supporters étaient décidément dépourvus d’arguments pour rabâcher :
« le candidat qui se présentait face à leur favori n’avait jamais été président », lui il ne l’est plus.
Cette rengaine vieillotte de l’illégitimité de la gauche redonne vigueur à mes convictions.
La victoire du 6 mai va à l’encontre de destins tout tracés, et c’est encore plus délicieux pour tous ceux qui ont accumulé les défaites, les reculs sociaux, les humiliations, la honte après tous ces mensonges, toutes ces manipulations, cet abaissement constant du débat politique.
Les citations d’un faiseur de discours arrachées à des livres du temps où il était gaulliste ne peuvent même plus faire diversion.
Mais les traits les plus détestables de ces dernières années ne disparaissent pas avec l’histrion.
Dans une discussion sur le net où j’intervenais pour contester le terme qualifiant Hollande de « bourgeois », je me suis fait remettre à ma place de dispensateur de cours.
Moi qui regrette souvent le côté donneur de leçons de la gauche, je me suis retrouvé assigné dans le territoire imaginaire des belles idées, méconnaissant par définition les dures réalités du quotidien.
La désinformation n’est pas aisée à débusquer et ceux qui voient « des BMW garées devant les guichets de la République conduites par des dealers magrébins accompagnés de leurs femmes grillagées ».
Ils pensent accéder à des données d’autant plus incontestables qu’elles font mine de se penser iconoclastes. Des ragots du même ordre ont été répercutés par le challenger droitier, dernier des douaniers, désormais retourné à ses problèmes de tout à l’égout.
J’aurai beau reprendre les chiffres de Laurent Maffeïs dans son livre « Les cinq mensonges du front national », je ne convaincrai pas cette jeune maman avec laquelle j’ai échangé. Elle qui doit affronter l’arrogance de petits coqs qui tiennent les murs de son quartier.
Pourtant : « Si l’on totalise toutes les allocations ou services reçus par les immigrés en France on arrive à 47, 9 milliards d’euros par an. Mais alors il faut compter tout ce que rapportent les immigrés au pays en versement d’impôts et de cotisations qui représentent plus de 60 milliard d’euros. Au final l’immigration rapporte donc concrètement plus de 12 milliards d’euros chaque année à la France. » Et ces médias que l’on jetterait volontiers du haut de leur suffisance, de leur opportunisme, de leur manque de courage, nous représentent-ils quand ils insistent : «Alors vous trouvez qu’il y a trop d’étrangers en France ? » Qui parle à ce moment là ?
Le vibrion se disait tout puissant, il s’est dissipé avec le dernier fait divers ; il fanfaronnait : « je vais l’éclater ce nul » et il s’est retrouvé battu.
Certaines de ces postures de cours de récréation vont passer sous les dents des déchiqueteuses qui fonctionnent en ce moment à plein régime, nous allons pouvoir peut être envisager des débats à la hauteur des enjeux majeurs qui nous attendent.
…..
Je vais au cinéma pendant une semaine, pause ordinateur pendant une semaine.

mardi 15 mai 2012

Quelques jours avec un menteur. Etienne Davodeau.

Cinq amis d’enfance désormais trentenaires se retrouvent une semaine dans un chalet.
Les personnalités se découvrent dans une ambiance de douce déconnade, de camaraderie virile.
 Balades, grasses mat’, régression, on joue aux dames la place sur le canapé : les vacances.
Mais pourquoi ce titre ?
 Par la radio n’arrivent pas que les résultats du championnat de foot: des bombes de peinture à l’eau explosent dans des villes sans faire de dégâts.
Rien de dramatique, un fil pour un scénario sympathique où la bienveillance est au rendez-vous des 176 pages qui se parcourent avec plaisir.

lundi 14 mai 2012

Bi, Dang So. (Sois fort). Phon Dang Di

Un spectateur de ce deuxième film Vietnamien présent à Cannes après « L’odeur de la papaye verte » parlait à la fois de pudeur et d’impudeur de cette production qui va fouiller sous les lits, dans les pots de chambre, avec des protagonistes qui s’enferment dans leurs secrets, leurs solitudes.
Pourquoi le fils refuse de voir son père revenu vivre ses derniers jours dans la maison de la belle fille qui va se consacrer à lui ?
La tante échappe au célibat mais les perspectives de vie heureuse ne sont pas évidentes.
L’enfant, pourrait apporter un peu de fantaisie dans cet univers moite, mais le jeu du jeune acteur un peu cabotin émousse ce regard.
 Le thème de la glace constitue un truc narratif qui appelle forcément la boutade : "le spectateur reste de glace", même quand il est fait un usage inédit d’un glaçon.
Malgré la beauté des femmes, ce film ne laisse pas de trace sympathique pourtant l’on ne s’ennuie pas mais je m’en veux de ne pas sortir du préjugé de l’impassibilité des hommes de là bas.

dimanche 13 mai 2012

Exposition universelle. Rachid Ouramdane.

Cette soirée se rapproche d’installations d’art contemporain, aussi un document d’accompagnement peut être utile afin de saisir les intentions du danseur soliste et de son musicien.
Ils « passent en revue les attitudes physiques dictées par les régimes politiques ainsi que par la société de consommation et son cortège d’icônes ».
Utile ne serait ce que pour comprendre le titre.
Ne comptez pas vous amuser à reconnaître quelque clin d’œil ; le propos est austère, le décor minimaliste. Si la danse c’est du mouvement et du rythme, petit bonhomme noirci au graphite est bien dérisoire malgré son application entre un métronome qui scande le temps et un projecteur qui tourne au bout d’un balancier. Il va bien enlever un peu de ce maquillage tenace et des gros plans de son visage vont apparaitre en fond de scène, il va cracher du rouge, changer de chaussures pour un usage des claquettes à peine amorcé, mais nous n'entrons pas dans la danse.
Au cours de la discussion qui a suivi, il serait trop facile de relever seulement « la métabolisation du noise » par le cuistre de service, mais je n’ai pas avancé dans ma compréhension puisqu’il m’a semblé pendant une heure que l’intellect était plus sollicité que l’ émotion.
Les artistes sont sympathiques et leurs démarches bien explicitées, leur spectacle ne m’a pas ennuyé mais je suis resté au bord.
Au début de la représentation parmi des saluts à l’esthétique de sinistre mémoire, je n’ai pu empêcher le surgissement devant mes yeux du geste de Bréivik, le monstre norvégien. Il n’avait pas la main tendue des fascistes qui l’ont inspiré mais au bout de son bras incliné, un poing qui était l’apanage me semblait-il du camp opposé. Je me suis souvenu aussi d’une photographie de « ça m’intéresse, histoire » où parmi la forêt de bras tendus, un seul homme croise les siens : héroïque. De la taille du porteur de sacs plastiques face aux tanks de Tienanmen.

samedi 12 mai 2012

Un mal sans remède. Antonio Caballero.

Ma femme qui adore les sagas, les péplums, la foisonnante littérature Sud Américaine n’avait pas hésité devant les 670 pages, elle aime aussi les pavés. Mais elle avait abandonné ce livre tout en me le recommandant, moi qui apprécie les écritures qui se cherchent, introspectives, dépressives et brèves. Appâté par un tel titre, j’ai été happé.
Jusqu’où pourrait aller mon antipathie pour le personnage principal indifférent même à lui-même ?
Il voue la plus complète des indifférences, la plus éhontée goujaterie, à sa mère, à ses compagnes, à ses connaissances. Sa seule activité est de chercher des mots pour former de la poésie, et cette recherche d’absolu, dérisoire, déchirante, au prix d’une vie vide, m’a bouleversé.
« Quelle merde la poésie. Il ramassa sur le plancher la dentelle légère du soutien-gorge abandonné. Et complètement ivre, enclin aux larmes, perdu dans un sentiment d’autocritique, il pleura en reniflant le soutien-gorge qui, pour parler franchement, ne sentait rien. » 
Il traverse la ville de Bogota, depuis les lieux sordides et pathétiques du pouvoir dans leur violence la plus crue, jusqu’aux canapés de révolutionnaires dans leur confort le plus ridicule, en de lieux les plus glauques, depuis un appartement désert où il n’a plus qu’un demi crayon pour écrire au dos des pages d’un livre de compte.
Le portrait de la Colombie est épique et le climat chaud et humide.
« Un serveur avec de grandes auréoles de sueur sous le bras l’obligea à commander un rosé très pâle, aigre, qui lui donna la nausée et était hors de prix. Il y avait du monde. Il vit des gens faire de grands gestes, il entendit de cris. Il régla une addition énorme. A la sortie, un vendeur de billets de loterie boiteux et manchot voulut le forcer à lui en acheter un en lui garantissant sa chance. Il hésita. Sut résister. »

vendredi 11 mai 2012

Quel avenir pour nos montagnes ?

Cet automne, parmi les spectateurs d’un débat au forum de Libération qui semblait destiné principalement aux régionaux de l’étape, j’entendais des amoureux des grands espaces regretter que leurs ados s’adonnent plus à leur ordinateur qu’au ski et faire part des difficultés croissantes pour amener des classes à la neige sur les pentes.
Ils ont entendu le reflet de leurs préoccupations chez les intervenants, Fredi Meignan , gardien de refuge, Président de Mountain Wilderness, et une élue d’Europe écologie Claude Coignet qui tient un blog intitulé « l’ingénue des alpages » plus que chez un représentant de Quechua qui reprend les mots à la mode pour agrémenter quelque dépliant publicitaire consacré à une nouvelle paire de brodequins.
L’éventail était ouvert, représentatif des contradictions entre une époque où le béton a crû sans frein sur la roche et la nôtre plus critique d’un développement à coup de canons, à neige. La conscience du réchauffement de la planète est passée par là et la mono manie autour du ski commence à être remise en question.
Ce type de loisir ne concerne qu’une frange restreinte de la population et les ambitions  anciennes d’initier un maximum d’enfants à la découverte du milieu montagnard se heurtent à des restrictions toujours plus nombreuses. Les emplois du tourisme représentent 4% de l’emploi total de la région Rhône Alpes, hors intermittents. Les interventions développaient les termes de « L’appel de nos montagnes » qui a reçu plus de 5000 signatures :
"Qu’on y vive, qu’on en vive, qu’on s’y ressource, la montagne nous offre l’expérience de la beauté des paysages, de la nature et du partage. Cette expérience n’est possible que grâce à un équilibre entre l’homme et la montagne. Conscients de la fragilité de cet équilibre nous nous sentons le devoir de lancer un appel pour nos montagnes." 
Il y a bien sûr le pinailleur de service pour trouver abusif l’adjectif possessif dans l’intitulé mais c’est bien de réappropriation citoyenne dont il s’agit.
Nos horizons vont bien sûr au-delà des crêtes et l’arc alpin est la plus intangible des institutions européennes. Des modalités pour rectifier les abus du passé se sont mises en place avec des intercommunalités qui associent la vallée et les stations et pourront gagner en cohérence. Mais les pistes pour aller vers de nouvelles gouvernances sont escarpées, la diversification touristique peut amener à des aberrations avec des centres aqualudiques qui se multiplient pour installer encore des lits (leur nombre dans la Tarentaise est supérieur au nombre de lits touristiques du Maroc et de la Tunisie) :
« Imaginez-vous nageant dans une eau à température idéale face à de grandes baies vitrées avec vue imprenable sur les sommets »
.....
Dans le Canard de cette semaine:

jeudi 10 mai 2012

Die Brücke à Berlin. (1911-1914)

Conférence de Daniel Soulier pour les amis du musée de Grenoble.
Fondé en 1905 à Dresde, en pays saxon, par des artistes nourris d’arts africain et océanien, le mouvement « Die Brücke » constitue l’avant-garde des expressionnistes.
Dans Dresde, la « Florence sur Elbe », les impressionnistes et les fauves français, scandinaves sont bienvenus. Munch débute là bas une carrière qui se développera à Berlin.
A Berlin, en pays prussien, Guillaume 2 a concentré les pouvoirs industriels et bancaires, il intervient également à sa manière cavalière dans le domaine artistique.
Des musées, des galeries naissent dans une ville de 2 millions d’habitants, dix fois plus étendue que Paris.
Moins ouverte au monde que la capitale anglaise, moins splendide que Paris, sans la profondeur historique de Rome, Berlin devient une capitale de la modernité. Cézanne et Degas sont installés dans sa galerie nationale, 15 ans avant le Louvre. Des scandales, inhérents à toute innovation esthétique, éclatent.
Une « sécession berlinoise » se créée avec Max Liebermann qui vivra à son tour une scission. Le pape impressionniste est devenu institutionnel, avec 6000 peintures dont 140 autoportraits :
« Quelqu'un qui a fait l'expérience, dans sa jeunesse, du rejet de l’impressionnisme se gardera bien de condamner un mouvement qu'il ne comprend pas ou ne comprend plus, notamment en tant que directeur de l'Académie, qui, aussi conservatrice soit-elle, se figerait totalement si elle désapprouvait systématiquement la jeunesse. »
Ses compatriotes :
Franz Skarbina, peintre de la ville en dehors de la monumentalité impériale, celle de la nuit, de la pluie, saisit la lumière et des silhouettes passagères sous les becs de gaz.
Hans Baluschek, intensifie le côté dramatique d’une agglomération de 4 millions d’habitants dont quelques prolétaires.
Lesser Ury, immobilise avec des touches dorées les reflets des taxis, des sorties de métro.
C’est dans ce paysage brillant qu’arrivent Kirchner et sa bande.
Max Pechstein le mélancolique choisit en cette période, plutôt les lumières pâles de l’hiver, les étendues d’eau et de sable du Brandebourg.
Le leader, Ernst Kirchner peint les rues, les places et la vie nocturne, ses rythmes ; à la campagne où le groupe se retrouve encore, des nus et des lignes. Jugé comme peintre dégénéré par les nazis, il se suicide en 1938.
Dégénéré lui aussi, Schmidt-Rottluff s’approche des cubistes par sa géométrisation des formes, ses angles. Au cœur du trafic berlinois, la Potsdamer Platz que beaucoup d’entre eux ont saisie, connaitra le premier feu rouge du continent.

mardi 8 mai 2012

Gaza 1956, en marge de l’histoire. Joe Sacco.

Bien plus qu’une bande dessinée, un ouvrage historique avec lequel nous suivons la démarche du chercheur autour d’un massacre de palestiniens en 1956, volontairement caché, oublié. Avec ce que peut apporter la BD comme recul, et confort de lecture.
Il s'agit de deux opérations israéliennes à Rafah et KhanYounis sur la population civile de deux camps de réfugiés.
Encore une chronique sur un massacre de plus !
La démarche de celui qui tente de recueillir des témoignages parait dérisoire y compris à ceux qui souffrent aujourd’hui : quelques gouttes examinées minutieusement dans un fleuve de sang et de larmes loin d’être tari.  
“Ici, c’est tous les jours 1956 "dit le fils d’un survivant de Rafah et l’on comprend pourquoi " la haine a été plantée dans les cœurs ".
Cette œuvre relie des épisodes historiques à une actualité répétitive où les oiseaux qui ont élu domicile dans les trous d’obus arrivent encore à susciter l’humour des gazaouis.
Honoré de plusieurs prix, ce livre a demandé un travail impressionnant, le rendu est scrupuleux; ce qui est exposé est sans cesse remis en question, sans surenchère, l’horreur se suffit à elle-même.

lundi 7 mai 2012

Les vieux chats. Sebastián Silva Pedro Peirano.

Deux vieux chats sont les maîtres de l’appartement confortable à Santiago du Chili où toute une vie a déposé les souvenirs d’un vieux couple.
Leur fille en ménage avec une autre annonce sa venue avec brutalité et les craintes des parents vont se vérifier : elle vient soutirer encore de l’argent à sa mère et à son beau père, les escroquer.
Mais sa violence est trop forte pour ne pas interroger sur l’amour qui lui a manqué.
Malgré une prise de conscience de la perte de la raison de sa mère, il est trop tard pour établir une relation apaisée.
Film chaleureux où les éclats de rire accompagnent le tragique fatal quand des comptes restent à régler pendant le temps additionnel.
….
Le mois de mai est un joli mois.
Ouf !

dimanche 6 mai 2012

La mort de Danton. Georg Büchner. Georges Lavaudant.

Une grande pièce, un sujet essentiel, un texte magnifique, des acteurs emballants, une mise en scène grandiose et juste.
Les trois heures ponctuées de scènes allègres, de musique et de chants en direct passent facilement, bien que nous connaissions le destin des protagonistes aux consciences torturées, il fallait cette ampleur.
En 1834, Büchner a 22 ans, il réinvente une histoire qui nous concerne en nous élevant au dessus des accablantes comédies politiques du jour.
Tous ces hommes, pétris de culture antique, impliqués dans les fracas d’un monde à inventer, nous éloignent des petites phrases, des petites stratégies, nous élèvent vers de hautes préoccupations.
Les questions essentielles sont posées quand Danton culbute la grisette jusqu’à l’instant crucial de la mort annoncée mais inenvisageable par le tribun charismatique. Se mesurent alors jusqu’au sublime instant, la solitude et la fraternité, le progrès humain et le néant, le destin.
Après de belles volutes rhétoriques, avant que le couperet ne tombe, c’est le silence.
Lavaudant et sa troupe rejouent chez nous 10 ans après la création de ce monument du théâtre.
Avec conviction, ils répondent aux questions esthétiques posées également par Büchner.
Arbona est Robespierre, Pineau est Danton : parfaits.
« Nous devrions une bonne fois ôter les masques… Mais ne faites pas ces grimaces si vertueuses, si spirituelles, si héroïques, si géniales, nous nous connaissons, épargnez-vous cette peine. » 
Du plaisir et de la matière à penser ; un sommet.
Pas forcément un petit détail : l’intéressant document d’accompagnement distribué à l’entrée participe à une mise en pratique d’un théâtre exigeant et concernant tous les citoyens, c’est remarquable, car ce ne fut pas toujours le cas à la MC2.

samedi 5 mai 2012

6 mois n° 3. Le XXI° siècle en images.

Formidable.
350 pages intenses pour 25 € en librairie, qui nous en apprennent encore et assurent quelques piqures de rappel.
Reportage chez les marins abandonnés sur les quais de l’oubli de la mondialisation.
70% de la flotte mondiale navigue sous pavillon de complaisance comme le précise après ce chapitre une documentation bien utile.
Rites étranges chez des artisans compagnons en Allemagne de chantier en chantier,
des images d’école en Iran avec poules dans la cour et le printemps sur le chemin,
l’hiver en Sibérie autour d’une petite fille au bonnet rouge comme le commandant Cousteau.
L’œuvre d’un ophtalmologue en Inde où sont soignés des centaines de milliers de malades.
Dans ce volume aux images considérables, les icônes Elisabeth II et Mao ont les couleurs de l’évidence et de l'habitude.
Le titre du dossier « L’Afrique en face » est tout à fait justifié avec trois reportages qui en mettent plein la face :
le petit monde des affaires pétrolières au Nigéria,
une grand-mère courage en Ouganda qui se conforte une dignité grâce à la photographe italienne qui lui donne à commenter ses clichés,
les domestiques au Kenya.
Alors lors d’un entretien avec Gilles Peress, quand ce membre de l’agence Magnum dit que
« toute image est le résultat d’une bataille entre la forme et le contenu »
nous voyons bien que tout ce beau livre, ce livre fort illustre cette tension :
des pastels glacés de la Sibérie
aux nuits charbonneuses d’Ouganda
et les rendez vous annuels pendant 20 ans d’un photographe avec une famille londonienne où l’enfant grandit et les parents vieillissent...

vendredi 4 mai 2012

A qui profite la mondialisation ?

Au Forum Libération, un titulaire de la chaire d’économie au Collège de France Roger Guesnerie et un professeur à l’Ecole des Mines Pierre Noël Giraud décrivent l’implosion du système financier en utilisant des images maritimes avec passagers inquiets et officiers rassurants.
La grand voile est effondrée.
 A reprendre mes notes trop lacunaires d’alors, les ravages dans ma mémoire viennent mettre en évidence l’inculture économique qui était celle de ma génération qui n’a pas connu non plus la génétique.
Je me laisse consoler facilement par une camarade qui souligne que tant d’experts se sont tellement trompés que de dater l’acquiescement au libre échange est de peu d’importance.
Alors je ramasse un morceau de Jean Viard sociologue qui a le mérite d’être clair :
« L’humanité s’est réunifiée. Dans son histoire, il y a eu trois grandes ruptures. Chaque fois, les contemporains ont été terrorisés, chaque fois, les générations futures ont trouvé ça extraordinaire. 
Première rupture : la chute de l’empire romain et l’avènement de la culture monothéiste. 
Deuxième rupture : Christophe Colomb dit que la Terre est ronde et l’on découvre un nouveau continent, ce qui met à bas toutes les représentations de l’espace et du monde. 
Enfin, troisième rupture, la Terre constate qu’elle est unifiée. 
On est dans cette phase. » 
J’avais bien lu par ailleurs la révolution que constituaient les conteneurs et que les pays émergents étaient concernés et non plus seulement la zone atlantique.
La Chine et l’Inde délocaliseront en Afrique.
Le creusement des inégalités n’est pas fatal : Lula l’a stoppé.
La finance compte garder les rendements en refilant les risques aux états : la régulation se fait par les kraks et non plus par l’inflation.
Et si la poussière du convoi n’est pas encore retombée, une autre métaphore qui met en image la tectonique des plaques me parle.
A l’encontre des mots qui envahissent tout l’espace des idées en accusant la mondialisation de tous les maux, je ne sais mesurer s’il y a peu de perdants à l’échelle mondiale, si tout est si bien pour le milliard d’en bas. En tous cas si tout dépend des idées, je sens tout le poids de mon âge, dans un vieux pays de notre ancien continent.
.....
Le dessin du Canard de la semaine

jeudi 3 mai 2012

L'expressionnisme allemand « Die Brücke » Le douloureux enfantement de l'art moderne en Allemagne par Catherine de Buzon.

Die Brücke (1905-1913) est un mouvement essentiel dans la naissance de l'art moderne. Signifie « le pont », entre l'ancien et le nouveau.
 « Ce qu'il fallait quitter, c'était clair pour nous ; où cela nous mènerait-il, voilà qui l'était, il est vrai, beaucoup moins ... »
 A Dresde, en Saxe, en 1905, des jeunes gens se réunissent, dans l'effervescence (Kirchner, Bleylk, Heckel, Schmidt-Rottluff). Leurs projets s'opposent au monde qui les entoure.
Dans le jeune empire allemand, vers 1900, c'est le triomphe du capitalisme volontariste. Le miracle économique s'accompagne d'une forte poussée démographique. Les villes se développent et Berlin est la plus grande ville d’Europe.
Issus de familles bourgeoises, en opposition à leurs parents, ils veulent être artistes mais doivent suivre les cours de l'école d'architecture de Dresde. Plus ou moins assidus, ils rêvent d'un monde plus solidaire, en harmonie avec la nature. La nouvelle peinture se définira par la volonté de rompre avec l'académisme. Gauguin (couleurs, vie dans les îles), Ensor, Munch et surtout Van Gogh les inspirent.
Nolde conseillait, au lieu de « Brücke » d'appeler le groupe « Van Goghiana ». Il joue un rôle déterminant dans l'orientation du groupe, orchestré par Kirchner et dissous en 1913.
L'atelier du 65 Berliner Strasse est décoré d'objets et de meubles construits par eux, avec du bois de récupération, des statuettes témoignent de leur fascination pour l'art primitif, les gravures, les dessins, les peintures, « nus d'un quart d'heure » représentant leurs compagnes. Il est le cadre de grandes discussions où les références à Nietzsche abondent. Leur été se passe près du lac de Moritzburg. Dans cette nouvelle Arcadie, ils vivent nus, très proche les uns des autres, ils ne signent pas leurs tableaux. Pour vivre de leur art, ils créent une association, font de nombreuses expositions et éprouvent le besoin d'aller dans une grande ville. En 1911, ils s'installent à Berlin et en seront transformés : le groupe éclate et se sépare en 1913. La guerre va les happer. Les gravures sur bois sont les réalisations les plus formidables du groupe, successeur des maîtres du 15 et 16ième siècles (Dürer, Cranach Holbein...)
Kirchner (1880-1938). Son père est ingénieur. Il peint d'abord, comme tous, à la Van Gogh, de nombreux portraits de sa compagne Dodo. L’influence de Matisse est aussi manifeste quand on voit sa palette chaude où les accords chromatiques sont essentiels, avec ses visages bleus et des cernes autour des formes. La couleur se libère dans des dessins et aquarelles rapides de Fränzi et Marcella dans le décor de l'atelier. A Berlin, il raconte les nuits « chaudes » avec un trait aiguisé où une grande tension est perceptible jusqu’à la violence. Il nous montre les bourgeois et les « cocottes » qui deviennent des personnages étranges, aux pieds étirés, aux silhouettes anguleuses.
On retrouve la même ambiance lourde, les mêmes tonalités chez Nolde qui a rejoint le groupe en 1905. Il peint sa nouvelle compagne, Erna. Traumatisé par la guerre, ce « volontaire involontaire » ne peut plus peindre, englouti dans l'angoisse. Malade, drogué à la morphine, il vit à Davos, conçoit quelques très belles gravures, quelques toiles. Il se suicide en 1938, après que les nazis aient déclaré Die Brücke « art dégénéré ».
Heckel (1883 – 1970) : fils d'ingénieur, organisateur du groupe (appartement, expositions..). Il construit par cernes et imite lui aussi Van Gogh. Ses paysages de couleur rouge s’étalent sur de grandes surfaces. Passionné par les émaux, ses gravures sur bois comportent toujours des esquilles laissées volontairement. .A Berlin, à partir de 1911, sa peinture devient sèche, plus terreuse. En 1913 il peint la toile « Jour de verre » qui devient l’icône du groupe. Il rencontre le cubisme. Pendant 14-18 : il ne peint pas de tableaux de guerre mais un superbe autoportrait et des paysages de campagne lumineux et pleins d'espoir.
Schmidt-Rottluff  (1884 -1976): fils d'un meunier, il les rejoint plus tard. Sur ses surfaces brossées, le rouge déferle. En 1910 « La percée dans la digue ». A Berlin, peintures fortes et gravures, plus graves après la guerre.
Pechstein: (1881 – 1955): fils d'un contremaître. Il suit une formation académique dont il aura du mal à se débarrasser pour ne plus être lisible. Il rejoint le groupe en 1906 et part à Berlin dès 1908, il voyage en Italie (toiles remarquables par leur composition, proches du cubisme). Au front, sur du mauvais papier, il tient une véritable chronique de l'horreur quotidienne.
Mueller : (1874 -1910) les rejoint en 1910. Raffinement, douceur, formes et rythme. Il peint exclusivement le corps de la femme (jeunes silhouettes bucoliques). Il apporte beaucoup au groupe sur la préparation de la peinture (ex : utilisation de la glu d'où des couleurs plus ternes.) Détruit par la guerre, au retour, son seul sujet sera les gitans, « innocents » car pas concernés par le conflit.
Nolde, artiste très indépendant, plus âgé, très connu, n'accompagnera que 18 mois l'aventure commune. Passionné de la couleur, peintre des jardins, des paysages si puissamment colorés qu'ils gomment les personnages.

mercredi 2 mai 2012

« On refait le voyage » : Saint Petersburg 2004 # 9

Après un petit déjeuner sucré ou salé selon les goûts, nous nous élançons dans le métro noir de monde. Au moment de monter dans la 2ème rame qui doit nous conduire à Petrogradskaya et pressés contre les portes automatiques, Mitch vient de se faire dérober son appareil photo dans son sac à dos. Les stations de métro sont espacées, sans doute en partie parce que nous passons sous la Neva. Nous sortons dans le flux humain à Kamennoostrovski Prospekt et cherchons le musée Kirov au n° 26-28. Il n’ouvre ses portes au public qu’à partir de 11h, nous traînons alors dans ce quartier « Modern style » en direction du musée de l’histoire politique. Nous demandons souvent le chemin de ce musée visiblement peu connu. Il doit se cacher par derrière la mosquée ; le bâtiment religieux est caractérisé par une coupole en ogive plutôt qu’en arrondi et avec ses minarets, l’ensemble manque d’élégance. On n’ose imaginer par ces températures, les ablutions et l’abandon des chaussures à l’entrée …
Nous poussons la porte d’entrée d’un superbe hôtel particulier style art nouveau d’une danseuse rendue célèbre par sa liaison avec Nicolas II. Là, nous faisons face à des vitraux à dominance rouge disposés dans une rotonde représentant Lénine, conquérant. Mais nous n’avons pas l’intention de visiter le musée, comme la classe de collégiens chaussés des babouches protectrices qui envahit le hall. Nous passons juste un petit moment à fouiner dans les cartes postales politiques sous l’œil bienveillant de la caissière.
Il est l’heure de retourner au musée appartement de Kirov, heureusement signalé par une plaque en bas de l’immeuble. Très populaire, l’ancien secrétaire du parti à Léningrad ne tardera pas à représenter une menace pour le « Petit père des peuples ». Son assassinat en 1934 marque le début des grandes purges.
Deux vieilles dames attendent et reçoivent le visiteur, mais elles ne décrochent pas un mot d’anglais ou de français. Elles appellent une 3ème femme plus jeune, qui utilise plus de russe que d’anglais dans ses phrases. Elle nous fournit des explications écrites traduites dans un français très approximatif et s’accroche à un document en anglais qu’elle essaie de lire. La visite à la badine (au vrai sens du terme) commence ; cette dame ne comprend pas que nous pouvons nous débrouiller seuls ; elle guide, montrant les objets de sa baguette, nous imposant de nous placer là, de regarder ici, de nous aligner ainsi… bien sûr que nous vient à l’esprit : « une vraie stalinienne ! »
Nous découvrons au 4ème étage le « mémorial » : une pièce qui expose les cadeaux de « rapport » offert à Kirov par les usines ou les entreprises russes ; comme les deux peaux d’ours l’un blanc, l’autre brun qui proviennent de marins en remerciement d’un sauvetage, les faisans empaillés qui dénotent son goût pour la chasse, les différents objets, des téléphones en grand nombre qui témoignent de sa vie et de sa fonction. La 2ème pièce en enfilade, est une bibliothèque en bois, la 3ème, toujours en enfilade, la salle à manger décorée d’animaux empaillés. La 4ème pièce ne se visite pas, elle correspond à la chambre à coucher actuellement en rénovation. Nous revenons sur nos pas dans le hall et découvrons la salle de « récréation », c’est-à-dire le lieu de bricolage de Kirov avec une vitrine de chasse (vêtements et gibecières, des munitions et de quoi les fabriquer), des outils de charpentier, des patins à glace….
A signaler dans les curiosités, un frigo américain « General electric » et un portait réalisé uniquement à base de plumes collées. La visite se poursuit, nous traversons les salles d’exposition, passons par un bureau où l’ours est décliné en porte buvard et autres matériels du même genre, et où nous pouvons admirer une collection de téléphones comme dans la salle du « mémorial ». Nous n’échapperons pas aux reliques sous vitrine, et la casquette et la vareuse portés le jour de son assassinat ont été soigneusement recousues et lavées. Nous remontons à l’étage, jeter un œil sur l’exposition sur les enfants. Elle ne manque pas de charme présentant des jouets désuets et modestes, des habits anciens et, surprenant, des explications en français sur les scouts et l’usage du bâton. Notre adjudant-guide se détend, elle nous mime des signes scouts, le salut des jeunesses communistes lors des défilés. Son « je ne suis pas communiste » nous étonne, lancé comme pour se défendre.
Nous nous offrons un chocolat et un gâteau en guise de repas car il est une heure et demie.
Dehors, la neige, que les employés combattent à longueur de temps sur la rue et sur les toits, revient immanquablement comme chaque jour, d’abord timidement puis plus sûrement.

mardi 1 mai 2012

Une jeunesse soviétique. Nikolaï Maslov.

Le dessin au crayon pour raconter une vie n’est pas là pour faire style mais pour aller à l’essentiel.
Une certaine maladresse ajoute à l’authenticité de ce parcours dans les années 70 d’un jeune gars de Sibérie. Banalement ponctué de vodka pour s’assommer parce que saisir des paysages sur papier ne remplit pas une vie, la violence de l’armée, de l’hôpital psychiatrique prend toute la place. Les fermes, l’école d’art.
Emmanuel Carrère dans la préface décrit les conditions de la publication de cette BD rare depuis cet empire dont le délitement n’a pas fini de nous concerner.
 « J’ai connu des mères moins chanceuses que celle de Maslov, à qui il est resté au moins un fils pour lui dire de ne pas trop pleurer après la mort de l’autre. »

 
SWAP (La Chanson du Dimanche S05E11) par lachansondudimanche