samedi 24 mars 2012

N'espérez pas vous débarrasser des livres. Jean-Claude Carrière, Umberto Eco.

Les deux joyeux grands pères s’entretiennent avec Jean-Philippe de Tonnac, et leur pétillante érudition constitue le meilleur des plaidoyers pour le Livre qu’ils prennent bien garde de sacraliser, Ecco s’est constitué une bibliothèque gigantesque autour de l’erreur et des idées fausses.
C’est parce que j’ai la religion du livre que celui-ci m’a été offert, mais je ne sors pas de ces 280 pages rassuré pour l’avenir, j’ai seulement pris du plaisir à fréquenter leur gai savoir et c’est déjà bien.
Si Carrière reste beaucoup dans ses références à Buñuel, il touche juste quand il souligne que chaque lecture modifie le livre : « le temps le fertilise».
J’en serai à penser que ce n’est pas le temps qui nous tue mais les tentatives contemporaines pour l’abolir. Les supports numériques tiendront-ils le temps des incunables que les deux bibliophiles collectionnent ? Ecco remarque que « la renaissance religieuse fleurit dans des ères hyper-technologiques, à la fin des grandes idéologies, à des périodes d’extrême dilution morale ». Nous y sommes.
Et dans les débats qui traversent nos pays glacés, le rappel que les gens du sud reprochaient aux gens du Nord de manquer de culture est stimulant.
Quand Bossi de la Ligue est descendu à Rome pour un premier discours, une pancarte ironique indiquait : « lorsque vous viviez encore dans les arbres, nous étions déjà des tapettes ».
Les deux érudits emploient volontiers la notion de filtre pour choisir dans la profusion et ils reviennent sur l’histoire nous enseignant que les peuples sans écriture sont maudits ; l’acharnement des colonisateurs à en faire disparaître toute trace atteste du pouvoir des alphabets. Même si en Inde la tradition orale revêt le plus grand prestige. Lors des chants en groupe les erreurs individuelles sont atténuées, rectifiées.
« La tradition orale des grands poèmes épiques qui a perduré pendant près de mille ans serait donc plus exacte que nos transcriptions faites par des moines, lesquels recopiaient à la main dans leur scriptoria, les textes anciens, répétant les erreurs de leurs prédécesseurs et en ajoutant de nouvelles. »
Qui n’est pas saisi de vertige devant la plus modeste des bibliothèques ?
 Alors face à celle des deux compères ils ont des réponses à la question :
« Vous les avez tous lus ? »
 « Davantage, monsieur, davantage. »
 « Non. Ces livres-là sont seulement ceux que je dois lire la semaine prochaine. »
ou «Je n’ai lu aucun de ces livres, sinon pourquoi les garderais-je ? »

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