jeudi 8 mars 2012

La nature morte # 3 : face au monde moderne.

Au XVIII° siècle, la représentation de trophées de chasse affichait un privilège aristocratique, mais la profusion des miroirs dans les riches intérieurs déporta les natures mortes au dessus des portes et les destinèrent à la décoration avec effets de perspective inévitables.
C’est alors que Chardin qui inspira Manet et Matisse, dont la carrière fut aussi limpide que sa peinture, advint.
Les fonds ne sont plus anecdotiques et l’animal vivant qui apparaît au début de sa carrière à côté d’une raie fondatrice disparaitra, les objets amoncelés s’ordonneront. Le peintre qui perdait la vue se consacrant aux pastels à la fin de sa vie, n’est pas photographiable tant ses rajouts de blanc rompent subtilement les couleurs.
Diderot, premier des critiques d’art en parle si bien : « Ô Chardin ! Ce n’est pas du blanc, du rouge, du noir que tu broies sur ta palette : c’est la substance même des objets, c’est l’air et la lumière que tu prends à la pointe de ton pinceau et que tu attaches sur la toile. Après que mon enfant aurait copié et recopié ce morceau (pot d’olives), je l’occuperais sur la Raie dépouillée du même maître. L’objet est dégoûtant, mais c’est la chair même du poisson, c’est sa peau, c’est son sang ; l’aspect même de la chose n’affecterait pas autrement. Monsieur Pierre, regardez bien ce morceau, quand vous irez à l’Académie, et apprenez, si vous pouvez, le secret de sauver par le talent le dégoût de certaines natures. On n’entend rien à cette magie. Ce sont des couches épaisses de couleur appliquées les unes sur les autres et dont l’effet transpire de dessous en dessus. D’autres fois, on dirait que c’est une vapeur qu’on a soufflée sur la toile ; ailleurs, une écume légère qu’on y a jetée. »
Avec la révolution décline le genre.
 En Espagne Luis Meléndez va apporter de l’originalité en privilégiant les gros plans, en assurant un rendu d’une grande vérité à vous tromper l’œil, l’objet perd de sa symbolique bien que Serge Legat, le conférencier nous précise qu’une noix cassée était un symbole christique puisque la chair y est offerte.
La dinde plumée de Goya, le premier peintre de l’inquiétude moderne, nous fait passer du romantisme à la violence expressionniste.
Au XIX° le romantisme revient avec Géricault et Delacroix au homard baroque parmi les gibiers. Courbet va vers le réalisme et sa truite qui manque d’air c'est lui même.
Fantin La Tour célèbre la beauté du réel et délaisse le pathos.
Le pédagogue de cette soirée a mis l’accent sur le rôle déterminant des collectionneurs : le Docteur La Caze qui fit don au Louvre de 582 toiles et De Camondo Nissim, dont la famille disparut dans les camps, avait légué, entre autres, l’impressionniste bouquet d’asperges de Manet.  
« Monet, ce n’est qu’un œil, mais quel œil ! », disait Cézanne aux pêches et poires à perspectives multiples. Celui-ci recompose la notion d’espace et rompt avec l’impressionnisme, augurant du cubisme.
Picasso fait « du trompe l’esprit » et son seul rival Matisse libère la forme, en héritier du fauvisme, il fait chanter les couleurs.
Van Gogh dont les tournesols se tournent vers le soleil, cherche-t- il Dieu ?
Soutine pose un regard incorruptible sur la réalité et rend avec son bœuf écorché la version la plus douloureuse de la nature morte.
Finalement les surréalistes ne sont pas les moins minutieux à rendre compte d’un monde où tout est possible. « Une authentique nature morte nait le jour où un peintre prend la décision fondamentale de choisir comme sujet et d'organiser en une entité plastique un groupe d'objets. Qu'en fonction du temps et du milieu où il travaille, il les charge de toutes sortes d'allusions spirituelles, ne change rien à son profond dessein d'artiste : celui de nous imposer son émotion poétique devant la beauté qu'il a entrevue dans ces objets et leur assemblage. » Charles Sterling

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