dimanche 31 octobre 2010

Manset

Au moment où la radio de son maître se taisait en 68, les ondes planantes de Gérard Manset ont pu passer, depuis il y est rarissime. Cela conforte ses fidèles d’autant plus inconditionnels qu’ils ne sont pas noyés dans une foule d’allumeurs de briquet. La compagnie de pairs qui ont reconnu ce successeur de Gainsbourg et des Beatles réunis comme un grand leur suffit : Bashung, Hardy, Cabrel, Sheller, Clerc…
Le chanteur qui peint et pratique la photographie a été chiche de sa propre image et son refus de rééditer quelques succès a fait monter sa cote.
Il voyage en solitaire et nous nous reconnaissons dans son parcours, quand « être au monde » va avec la volonté de mener sa barque comme on l’entend :
« Mais il est seul
Un jour
L'amour
L'a quitté, s'en est allé
Faire un tour
D'l'autr' côté
D'une ville où y avait pas de places pour se garer. »

Il est parti aux autres bouts du monde, sans poser au héros comme Lavilliers, son regard fixé sur les tapisseries décollées des chambres tropicales et revenant avec de beaux papiers.
Il nous dit bien que
« Les capitales sont toutes les mêmes devenues
Aux facettes d'un même miroir
Vêtues d'acier, vêtues de noir »

Mais il ne s’en est pas retourné, aveuglé par les longues pluies, il a su très tôt nous dire :
« Il faudra bien qu'on pense un jour
Aux enfants qui poussent dans les tours,
Sur les trottoirs, sous les néons
Ceux qu'on ramasse dans les cartons.
Où sont les vastes terrains vagues,
Tout est silence.
Les murs de briques, les tas de sable
De mon enfance.
Les enfants nus, visage de charbon
Suivant les sentiers dans la grisaille
De nos maisons de France. »

Il mêle les éléments les plus fondamentaux le vent, l’eau, le soleil aux Légo sans mémoire, aux mocassins sous des tapis de violons. La ménagère au matin fait chauffer de l’eau et rêve.
Je peux l’écouter des heures, l’oublier, revenir vers ses incantations et me laisser enlacer par ses mots essentiels.

samedi 30 octobre 2010

« Tous les enfants sauf un. »

C’est ce que Philippe Forest a fait écrire sur la tombe de sa petite fille morte d’un cancer il y a dix ans, elle n’avait pas cinq ans. C’est la première phrase de « Peter Pan », mais la littérature ne sauvera pas le papa qui a noirci tant de pages après ce drame. Dans ce livre, il reprend le récit de cette mort et élargit sa réflexion sur l’hôpital, le statut de l’enfant, le cancer, la religion, le deuil et ses travaux forcés, sans détours.
Il cherche : « On doit pouvoir faire plus simple encore. J’aimerais pouvoir y parvenir. Rien ne remplacera celui qu’on a perdu. Et c’est seulement à la condition d’accepter cette évidence que, consentant au sacrifice de soi-même, on conserve vive la vérité d’avoir aimé. »

vendredi 29 octobre 2010

« Démocratiser la décision »

Il en fut question au forum Libé de juin à Grenoble, depuis que la « démocratie participative » est revenue sur le devant de la scène et que le moindre geste politique s’accompagne des mots
« concertation », voire « partage » omniprésents dans chaque boite à outils de com’ , de l’assoc’ la plus ringarde jusqu’au FMI .
Les « gens » ne se contentent plus d’être seulement informés, pourtant les processus innovants pour être décidément participatifs ne sont pas évidents.
Les personnes qui investissent les espaces ouverts à la décision sont majoritairement accessibles à l’arthrose. Et finalement « on vote où l’on dort », alors que la ville peut très bien être produite par les touristes ou ceux qui y travaillent par exemple.
Dans le schéma idéal de nos représentations, le triangle est la figure convenue où la collectivité publique en gestionnaire se placerait à un sommet, le marché sur une autre pointe et la société civile en garante des valeurs. Sauf que la multiplication des DSP (délégation de service public) en particulier dans le domaine culturel amène du déséquilibre : le renard a franchi le grillage.
Oui, nous sommes dans des systèmes en évolution, les enjeux, les choix doivent être hiérarchisés ; dans la complexité qu’est ce que la souveraineté populaire ?
Une évidence qui venait juste après l’abstention aux régionales : cet échelon est mal perçu car la décision politique n‘ inaugure pas beaucoup.
Et une nuance concernant le morcellement communal tant décrié, qui a su maintenir en France, dans tant d’espace, un réseau remarquable des services.
Pour que le citoyen ne soit pas qu’une créature abstraite, le processus démocratique comme on dit, a comme obligation le suivi, le compte-rendu, l’évaluation extérieure.
Ainsi l’intérêt collectif peut émerger lorsque chacun se l’approprie, mais l’urgence fait mauvais ménage avec l’élaboration lente, concertée, ascendante.
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Dans « Le Canard » de cette semaine :

jeudi 28 octobre 2010

Cabanel Alexandre

Même sous les platanes des promenades montpelliéraines il faisait bien chaud, alors
les corps laiteux et lisses de Cabanel, paraissent délectables.
Il eut ses heures de gloire au XIX° finissant, et le musée Fabre rend hommage à l’enfant du pays. Il incarnait l’académisme quand les impressionnistes étaient bannis des expositions ; aujourd’hui c’est lui qui est tiré de l’oubli, et c’est intéressant comme toute exposition qui présente un artiste dans ses évolutions.
Un montage approprié témoigne du passage de l’esquisse à la touche définitive : les nouvelles technologies au service d’une présentation agréable.
Une Cléopâtre bien blanche essaie des poisons sur des esclaves, des anges déchus ont le regard bien contrarié, les scènes sont bibliques ou littéraires et les portraits charmants privilégient une atmosphère florentine.
Une bonne adresse puisque Courbet qui avait précédé Cabanel dans cette exposition temporaire conserve quelques tableaux dans ce musée récemment restauré.

mercredi 27 octobre 2010

New York. J8. Le MET.

Dehors il fait bon sous le soleil. Nous prenons le métro jusqu’à Lexington avenue et nous poursuivons à pied dans un quartier cossu mais pas tapageur où Dany remarque le nombre important de fleuristes. Nous débouchons bientôt face au Métropolitan Muséum et empruntons l’entrée des scolaires et des groupes, surpris du peu de personnes en attente. Nous échangeons nos Pass City contre une pastille métallique rose à agrafer à nos vêtements. Armés d’un plan détaillé, nous choisissons de commencer par l’aile américaine. Pour y parvenir nous traversons l’art médiéval et nous tombons sur une procession de pénitents en pierre, en lamentation rangés deux par deux, parfaitement éclairés. L’ensemble provient d’un tombeau de Jean sans peur près de Dijon et la mise en situation valorise chacun des personnages libérés ici de leur gangue gothique. Impressionnant, mais interdit de photographier.
Autour d’un patio protégé par une verrière nous découvrons l’art nouveau à travers Tiffany, artiste de mosaïques et de vitraux. Nous admirons l’escalier, des portes en verre aux décorations multiples, des vases, mais pas l’ombre d’une peinture. Un gardien interrogé par Nicole nous envoie de l’autre côté du musée nommé modern art.
Nous y voyons des toiles de peintres américains qui nous sont inconnus mais aussi
des œuvres peintes et sculptées de Giacometti, un portrait tragique de sa mère, un chat sculpté,des Balthus, trois petits autoportraits de Bacon superbes, des Dali dont une madone en trompe- l’œil, des Modigliani, des Beckmann, des Bonnard, des Matisse, des Vuillard, des Braque, des Juan gris…et pas de Picasso.
Pour changer, nous circulons par moment dans deux expositions art nouveau, où nous retenons un immense tableau de verre, métal et bois laqué extrait du paquebot Normandy. Quelques meubles stylisés, de la vaisselle, des bibelots, un ours de Pompon, des services à thé, des bijoux (collier de perruches en verre ou cristal) attestant de l’art abouti des artisans de cette période.
Nous sommes tous d’accord pour une halte au restaurant le plus proche à l’intérieur du musée où les prix dépassent très largement celui des restaus que nous fréquentons habituellement ( plus de 200 $ pour cinq personnes). Nous reposons un moment nos gambettes.L’après-midi nous poursuivons avec l’art moderne du XX°. Dans cette partie du musée nous nous arrêtons devant une sorte de parabole constituée de multiples petits miroirs qui reflètent la même image démultipliée. Nous retenons aussi :
la reproduction du drapeau américain tout blanc comme décoloré, fané,
une toile circulaire d’un chinois réalisée avec de la cendre, des Pollock, des Kooning, un tableau représentant la mort de John Ford.
Mais nous ne pouvons pas tout retenir, nous oublions.
Nous décidons de passer un moment aux arts américains océaniens et africains : une mine ! Créativité, imagination, originalité et aussi des constantes entre les peuples. Nous ne finissons pas cette partie avant l’art africain. Je me consacre aux impressionnistes, dans l’ivresse juste avant la fermeture, je gave mon appareil photo, seul au milieu de chef d’œuvres inestimables.
Il reste tant à découvrir encore, nous n’avons pas vu la moitié des collections réparties dans des salles bien organisées, collections d’une grande diversité d’époque, d’art et de régions. J’avais lu qu’il y avait deux millions d’œuvres mais le plus souvent on parle de trois millions, pas toutes exposées quand même. Pas d’ordre chronologique pour les peintres et les œuvres, comme au Moma. Chaque salle correspond à une donation et porte le nom du donateur. Nous ne sortons pas saturés, avec l’impression d’avoir été privilégiés dans ce musée prestigieux et si nous avons croisé une classe d’ados aussi fatigués que les nôtres, de plus petits discrets, des enfants attentifs à l’adulte devant les Matisse, le public est à peine perceptible.
Dehors la pluie s’annonce par quelques gouttes clairsemées, puis plus serrées, elle clôt nos atermoiements d’emploi du temps : nous prenons le bus pour nous approcher du métro. A l’intérieur nous vérifions une fois de plus la sollicitude des newyorkais. Une dame nous prend sous son aile, nous entraine pour une correspondance de bus afin d’éviter au maximum de nous mouiller. Nous nous étonnons encore du nombre de personnes qui nous répondent dans notre langue. Ils ne sont pas touristes, mais Sénégalais, Algériens, résidents récents dans le nouveau monde. Nous poursuivons seuls le long trajet qui nous ramène à Brooklyn. Nous allons à la bibliothèque du quartier à deux pas de la maison, pour renouer avec Internet abandonné depuis une semaine, 3$ la ½ heure, parmi d’autres internautes, des joueurs d’échec et des lecteurs et choisissons des plats cuisinés chinois (26$ pour tout).

mardi 26 octobre 2010

Lucky Luke contre Pinkerton.

Cette fois le successeur de Morris, Achdé, peut compter sur Benacquista et Pennac pour scénariser les aventures du cow boy qui compte ses 64 ans. L’heure de la retraite a sonné pour Jolly Jumper et son maître. J’en étais tout désappointé et je trouvais bien ingrats ceux qui ont bien vite oublié le solitaire, détrôné par Pinkerton prônant des méthodes policières modernes, où à l’identité judiciaire on demande de ne plus sourire au moment de la photo, où la tolérance est à zéro et le fichage en règle. Ce personnage ambigu a existé et les deux auteurs de polar multiplient les allusions au climat actuel : manipulation de l’opinion par la rumeur, surpopulation carcérale... Les fondamentaux sont respectés : les Daltons sont toujours aussi bêtes, Lucky Luke encore plus flegmatique. Billy the Kid est libéré pour bonne conduite : quelle honte !

lundi 25 octobre 2010

Illégal. Olivier Masset Depasse.

Les valeurs de justice, qui figuraient dans l’imaginaire des étrangers qui veulent rester chez nous, sont mises à mal, quand les dispositifs visent à empêcher l’immigration. Une femme russe qui fit valoir notre langue dans son pays où elle professait, est sans papier, elle s’en brûlera les doigts pour échapper aux vérifications. Ce centre de rétention présenté n’est pas forcément un endroit indigne et quelques garanties démocratiques subsistent; nous ne sommes pas en bordure de Méditerranée. Le réalisateur belge nous révèle les réalités hors champ des caméras administratives appelées là par la loi pour éviter en principe les bavures qui subsistent lors des expulsions. En évitant les rôles trop d’une pièce, il retrace une histoire émouvante qui complète « Welcome » quand Lindon était en maître nageur. Les drames ne sont pas seulement les hématomes sous la peau, mais des vies familiales compromises. La vision du cinéaste n’est pas totalement pessimiste, puisqu’il nous laisse espérer que le beau personnage central pourra réussir grâce à l’amour filial pourtant contrarié tout au long d’un film qui nous rappelle à la réalité des barbelés qui nous enserrent.

dimanche 24 octobre 2010

Ferrat.

L’unanimisme à l’occasion de la mort du chanteur, l’enterra un peu plus, comme sont ensevelis Aragon, Potemkine, Le temps des cerises, Ma France :
« Celle qui ne possède en or que ses nuits blanches
Pour la lutte obstinée de ce temps quotidien
Du journal que l'on vend le matin d'un dimanche
A l'affiche qu'on colle au mur du lendemain »

Autre temps où monsieur D’Ormesson était fustigé, l’ancien éditorialiste du Figaro est désormais prince des lucarnes, à l’unanimité.
Il s’en est fallu d’un numéro spécial d’ « Envol »journal d’action laïque de l’Ardèche, pour que j’essaye de poser quelques mots en hommage au citoyen d’Entraigues. Si la couverture du numéro de mai est dessinée par Ernest Pignon Ernest, autre artiste reconnu, engagé, les photos qui illustrent la brochure montrent que ce n’est pas un people de Saint Germain qui s’assoit sur les sièges en plastique des salles communales pour aider ceux qui trouvent que c’est un joli mot « camarade ».
Du temps où j’étais instit, je n’ai pas envisagé de séquence de géographie concernant l’évolution du monde paysan sans une écoute de « La montagne », et « Nuit et brouillard » remue encore bien des chœurs adolescents. Mais ce serait faire tort à nos engagements, à nos sincérités que de se contenter de lui accorder une place au pied du podium de nos chanteurs à textes derrière Brel, Brassens, Ferré.
S’il était moins habité, moins ciseleur de mots, moins fou, il fut plus proche, se trompant comme nous, à la hauteur de sa môme, dans ses bras :
« Ma môme, elle joue pas les starlettes
Elle met pas des lunettes
De soleil
Elle pose pas pour les magazines
Elle travaille en usine
À Créteil»

L’émotion lors de sa disparition allait au-delà de son personnage qui a vécu derrière une « fenêtre qui donne sur l'entrepôt et les toits » mais qui abritait de l’espoir et de l’amour.

samedi 23 octobre 2010

A un ami Israélien. Régis Debray

Il faut bien que ce soit lui, Régis Debray, qui invite à la réflexion, pour que je passe du temps sur un sujet qui me parait tellement hors de portée. Même si je n’ai pas toutes les références : « la sabra héroïque aura été l’avatar israélien de l’homme nouveau promis par Saint Paul », se frotter à tant d’érudition donne l’impression, au moins un temps, de saisir la profondeur du problème, son enracinement dans les siècles. Les coups de gueule bien tournés ressortent pour parler de Gaza :
« c’est un peu comme si notre administration pénitentiaire déclarait avoir « libéré » les détenus de Fresnes en les enfermant à double tour du dehors, coupant les rations de moitié, privant l’infirmerie de médicaments et éteignant l’électricité ».
Et bien des réflexions vont au-delà des frontières d’un pays grand comme une petite Belgique :
« … le jeune Mao à casquette devant sa grotte, le barbudo cubain dans la Sierra Maestra -ces accroche-cœur ont anesthésié des milliers de neurones de par le monde, en surimpressionnant un âge d’or sur l’âge de fer qui a suivi. »
Il fait un sort à l’image du « rescapé de 45 » qui ne peut décidément plus se superposer au « Robocop de 2010 ».
Elie Barnavi « sioniste palestinien » lui répond dans le même livre et s’il est d’accord avec la plupart des idées de Debray, il marque la distance, avec celui « qui se collète au sacré et qui risque de rater le profane », entre le français et l’israélien, entre l’écrivain et le politique

vendredi 22 octobre 2010

Les jours heureux.

C’est le titre du petit opuscule édité par le CNR, Comité National de la Résistance le 15 mars 1944, dont un ami m’a communiqué un fac-similé, car j’ai été frappé que dans les débats sur le Renouveau en cette fin juin 2010 à Grenoble, on fit tant référence à ce document qui s’avère d’une actualité brûlante. En effet, après un plan d’action immédiat contre les oppresseurs, bien des paragraphes concernant un ordre social plus juste sont bons à citer à nouveau :
« L’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie ». Fouquet’s.
« Un plan complet de sécurité sociale visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’Etat » En ce temps là il y avait une crise certaine.
« Une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours » Dignement
« La possibilité effective, pour les enfants français, de bénéficier de l’instruction et d’accéder à la culture la plus développée, quelque soit la situation de fortune de leurs parents… » Fermetures de postes.
Il est aussi question de liberté de la presse. En 2010, la France figure au 44° rang du classement RESF. Quand l’équipe de foot était 27°au classement FIFA, l’entraineur fut limogé.
Ce programme du Conseil national de la Résistance de mars 1944 : « comment il a été écrit et mis en œuvre, et comment Sarkozy accélère sa démolition », les éditions de La Découverte viennent de le rééditer avec des apports de Jean-Luc Porquet, François Rufin. Si vous l’avez lu, faites nous part de vos commentaires.
………………………
Cabu dans Le Canard enchaîné de cette semaine :

jeudi 21 octobre 2010

Le XVII° siècle ou l'émergence des femmes (peintres)

C’est le temps des salons où des femmes réunirent des assemblées plus productives que bien des académies où elles commencent pourtant à être reçues.
Rosalba Carriera, miniaturiste vénitienne et surtout virtuose du pastel eut un succès dans bien des cours d’Europe comme portraitiste. Elle connut Watteau et influença à son tour nombre d’artistes tel Quentin De La Tour. Nous pouvons percevoir son époque à travers ses lumières subtiles et vaporeuses. Elle finira sa vie aveugle après avoir été opérée à trois reprises de la cataracte.
Adelaïde Labille Guiard, aide de Quentin De La Tour, passera des portraits des filles de Louis XV dites Mesdames qui contribueront au discrédit de l’Autrichienne Marie Antoinette à celui de Robespierre.
« Ne croiés pas, Monsieur, que ces Portraits ainsi que tant d'autres, offrent une attitude roide, contrainte, qui annonce l'ennui du modèle et la fatigue de l'artiste; dans ceux de Madame Guiard, on s'imagine converser avec les personnes dont elle offre l'image fidelle, par le ton d'aisance et la facilité qu'on y remarque. On devine en quelque sorte l'esprit et le caractère de chacun de ses modelés : l’âme semble peinte sur le visage. »
Angelica Kaufmann a désormais son buste à côté du tombeau de Raphaël; native des Grisons elle connut une carrière internationale. Confite en dévotions après une vie plutôt agitée, elle osa les nus masculins. Elle est une des représentantes éminente du mouvement néo classique.
Elisabeth Vigée Lebrun reste la plus célèbre alors qu’elle fut détestée pour sa proximité avec Marie Antoinette dont elle peignit une trentaine de portraits. Elle estimait que la révolution avait détrôné les femmes. C’est vrai pour sa peinture qui était bien plus charmante avant la révolution avec ses chairs délicates, elle, dont David reconnaissait le talent. Un de ces tableaux les plus célèbres : « Marie Antoinette et ses enfants » relevait d’une démarche de communication pour montrer la reine en bonne mère, mais le berceau que le dauphin désigne est vide, la petite sœur qui devait l’occuper est morte.Les réactions face à un pouvoir discrédité, sont hostiles "Voilà le Déficit !"raillèrent les mêmes qui s'interrogent aujourd'hui : "quel rabot des niches pour le nabot des riches?"
Serge Legat le conférencier des amis du musée a choisi Rosa Bonheur comme incarnation du nouveau rôle des femmes, au XIX° siècle. Cette admiratrice de Georges Sand peut être classée parmi les féministes, bien qu’elle se devait de solliciter l’autorisation à la préfecture tous les six mois pour porter le pantalon. Ses amours furent féminines. Elle connut tous les honneurs et bénéficia de côtes vertigineuses. Son « Marché aux chevaux » qui figure au MET est d’une vigueur remarquable. Ses compositions qui peuvent s’apparenter à des frises valorisent une campagne du second empire prospère, plus idéalisée que celle de Millet. Un musée lui est consacré à By en bordure de la forêt de Fontainebleau où l’on peut admirer en particulier des études d’animaux.
La voie est ouverte pour tant d’autres. Si bien qu’au 21° à l’atelier où mes crayons se trainent il y a majoritairement des représentantes du sexe faible.
Heureusement le maître est un mâle. Une curiosité.

mercredi 20 octobre 2010

New York. J7. Quartiers arty et vue sur la ville.

La sonnette annonce Emma, notre logeuse, qui se met à notre disposition avec son ordinateur portable pour la confirmation de nos billets d’avion. Nous sommes rassurés par son intervention décisive. Le nuage de poussière semble stagner voire s’atténuer. Sur son Ipod, « sa deuxième passion après ses enfants », elle nous montre des photos des étapes de la rénovation de l’appartement que nous occupons, qui était une la ruine quatre ans auparavant.
Nous partons avec une température idéale pour une promenade à Chelsea. Nous suivons le trajet proposé par le guide « Evasion », balade agréable dans un quartier calme. Visite d’une petite galerie d’art aux murs rouillés où sont exposées de petites statues sympathiques. L’international Poster center (601W26th ST) est situé au 13° étage d’un bâtiment en rénovation à l’extérieur comme à l’intérieur semblable à un parking en sous sol avec tuyauteries apparentes, murs peints grossièrement par-dessus les briquettes avec poubelles sur le palier. Derrière des portes fermées à clef se cachent des entreprises annoncées sobrement. Nous sommes accueillis en français, l’expo permet de voir des affiches datant du début de l’autre siècle destinées à une vente aux enchères au mois de mai. Nous pouvons circuler librement au milieu d’œuvres de Mucha, d’annonces de spectacles de Mistinguett, Maurice Chevalier ou Buffalo Bill, de réclames pour des automobiles. Nous avons à notre disposition des catalogues de vente où nous pouvons prendre connaissance des prix allant de 5000 à 30 000$ de quoi n’avoir aucun regret de ne pouvoir assister aux enchères. Nous bénéficions par ailleurs d’un point de vue superbe par les fenêtres d’une des salles d’archivage.
Nous nous arrêtons au « Don Giovanni restaurant » assez cher avec des salades plutôt fades mais cette halte au milieu des photos vieillies de Caruso nous repose avant d’attaquer un autre quartier. La serveuse roule sacrément les « r », son parler ne reproduit pas l’accent nasillard américain ou plus select des british. Nous pénétrons après dans le hall de l’hôtel Chelsea où bien des notes étaient payées en œuvre d’art. Le générique d’ « ex fan des sixties » défile: il abrita Janis Joplin, Jane Fonda, Hendrix, Dylan, Nabokov, Monroe, Warhol… le poète Dylan Thomas y tomba dans le coma après 18 whiskies.
Nous partons en direction de Soho d’un coup de métro. Les commerces de luxe s’affichent comme Vuitton, Chanel, Mimi de Montparnasse, au rez-de-chaussée d’immeubles en fonte bien entretenus où les échelles de secours rythment les façades. Souvent de couleur blanche, où tranchent le rouge et le vert comme le « Little Singer Building » conçu pour le fabricant de machines à coudre. Dans la rue de ce bâtiment de 1905 s’est installé un marché de petits vendeurs de CD « made by him self », ou de petites structures en fil de fer, artisans peintres et graffeurs sur supports de récupération. Nous achetons un dessin accompagné d’une citation traduite en anglais d’Albert Camus inscrite au feutre sur une feuille de papier journal. L’artiste édenté, ne manque pas d’humour. Sur notre chemin, nous nous arrêtons dans une galerie proposant des lithographies de Dali, Picasso, Chagall. Malgré les prix affichés qui dépassent de loin nos moindres prétentions, l’accueil est chaleureux, « welcome » sans mépris ni froideur. Ce n’est pas la première fois que nous remarquons cette gentillesse, ce manque de distance sociale. Nous nous promenons encore dans ce quartier entre Soho et Tribeca, avant de prendre le métro. Nous nous renseignons pour trouver la bouche du métro, ou plutôt un homme propose de nous aider, alors que nous sommes plongés dans les plans, et nous conduit le plus loin possible pour lui dans les sous terrains pour nous mettre dans la bonne direction « Enjoy » « Thank you Isidore ».
Notre dernière destination de la journée est l’Empire State Building. A cette heure, peu après 19h, plus de queue pour accéder au contrôle de sécurité, mais le cheminement compliqué délimité par des cordons rouges laisse imaginer le monde qu’il peut y avoir à d’autres heures. Nous prenons un premier ascenseur, un express qui franchit les 80 premiers étages affichés électroniquement 20 par 20. Nos oreilles réagissent comme dans un avion. Un deuxième nous hisse 6 étages plus haut à la plate forme panoramique. La nuit s’installe inégalement dans le ciel, mais uniformément sur la ville. C’est époustouflant. Nous dominons le monde, la statue de la liberté apparaît toute petite et lance timidement la lumière depuis son flambeau. Les buildings s’éclairent et on en identifie certains comme le Chrysler. La rumeur de la ville gronde en continu, renforcée par les moteurs d’hélicoptères et les sirènes de police et d’ambulance en contrepoint. Il n’y a pas de bousculade ou d’individu s’imposant pour s’approcher des grilles protectrices. Nous prenons notre temps, nous délectant de cette vue où la configuration des îles et des rivières se lit facilement.
Nous renonçons à une balade nocturne dans les rues de Manhattan.

mardi 19 octobre 2010

Comment je suis devenu stupide. M. Page. N. Witko.

Vaste programme qui correspond au passage à l’âge adulte d’un être trop lucide. L’humour est noir dans les éditions « Six pieds sous terre ». Et bien que cet album soit issu d’un livre, on peut déceler un travers de certains auteurs de BD, complexés par rapport à la littérature plus conventionnelle, de " se la jouer un peu trop", en rajouter dans la complication ou le clin d’œil élitiste.
« La lucidité est la blessure la plus proche du soleil » disait René Char dont la formule figure à la préfecture de Grenoble lieu d’un discours tristement célèbre du triste sire qui nous gouverne. Pauvre poète résistant.
Accéder à la stupidité est un chemin difficile qu’emprunte le héros mais il ne supporte pas l’alcool et les tentatives de suicide sont éreintantes, parole de momie. Il lui reste à devenir trader. Le récit de ce destin nauséeux dissuadera-t-il les candidats à ce métier qui sont parait-il très nombreux ?

lundi 18 octobre 2010

Bébés

Pour une fois que le tour de la planète ne nous déprime pas, ne boudons pas notre plaisir. Ce documentaire de Thomas Balmès est élémentaire en accord avec son objet. La première année dans la vie d’un bébé en Namibie, à San Francisco, au Japon et dans la plaine mongole, filmée à la hauteur des petits est émouvante. De leur venue au monde au premier pas. Au-delà des environnements entre surabondance et dépouillement extrêmes, retrouver les mêmes codes qui fondent notre humanité nous touche: les grands frères sont jaloux pareillement sous la yourte où dans les pavillons de chez nous et le sourire de maman également indispensable dans l’ascenseur qui surplombe la ville illuminée que dans la poussière près de la case. Télérama a trouvé le film trop gentillet : raison de plus de savoir que vous êtes dans la bonne file d’attente. Le jour où tout le monde aura perdu sa capacité à s’attendrir, la planète sera devenue un désert. Et je n’ai pas trouvé ce film gnangnan : le chat est magnanime sous toutes les latitudes même quand il est trituré vigoureusement, la présence des animaux est intéressante dans ces histoires tendres qui nous redonnent le sourire.

dimanche 17 octobre 2010

Le roi s’amuse.

"Quand on n'a plus d'honneur, on n'a plus de famille."
Une citation de la pièce de Hugo qui fut interdite très vite par la monarchie de juillet, pour dire que du temps a passé : le mot honneur qu’on vient de connaître en légion a perdu de sa grandeur. Rancillac le metteur en scène a pourtant bien souligné l’actualité d’une représentation du pouvoir au temps de François premier où le bouffon a le rôle premier. J’ai apprécié les boules à facettes, le décor en miroir, de cette cour bing bling, mais Denis Lavant du haut de ses talonnettes ne m’a pas atteint dans les séquences dramatiques. Il est convainquant en fou du roi mais ses relations avec sa fille qui est bien nunuche, m’ont parues factices, et sa douleur proche du grand guignol.
« Entre la morale nostalgique d’un Saint Vallier, l’absence totale de limites de la cour de François 1° et le tout sécuritaire paranoïaque de Triboulet, il doit pourtant exister une autre éthique » note le metteur en scène. On a bien envie de suivre son regard, mais je ne suis pas sûr que les lycéennes qui garnissaient l’Hexagone ce soir là, n’aient pas subi quelque brouillage spatio temporel quand dans ce décor de boîte de nuit, il est question du « guet », elles n’en aient pas compris un autre. Les vers d’Hugo n’avaient pas forcément besoin de photo au portable pour nous évoquer le présent. Ils en paraissent même parfois un peu longuets, quand Triboulet pérore devant un sac à viande. Pourtant quelle force dans le manifeste que le jeune Victor rédigea après l’interdiction de sa pièce :
« Le poète parlera lui-même pour l'indépendance de son art. Il plaidera son droit fermement, avec gravité et simplicité … Il réussira, il n'en doute pas. Quand cela sera fait, quand il aura rapporté chez lui intacte et inviolable sa liberté de poète et de citoyen, il se remettra à l'œuvre de sa vie. Il a sa besogne à faire, il le sait et rien ne l'en distraira … Le pouvoir qui s'attaque à nous n'aura pas gagné grand chose à ce que nous, hommes d'art, quittions notre tâche consciencieuse, tranquille, sincère, profonde, notre tâche du passé et de l'avenir, pour aller nous mêler offensés, indignés, sévères, à cet auditoire irrévérent et railleur qui, depuis quinze ans, regarde passer, avec des huées et des sifflets, quelques pauvres diables de gâcheurs politiques, lesquels s'imaginent qu'ils construisent un édifice social parce qu'ils vont tous les jours à grand peine, suant et soufflant, brouetter des tas de projets de loi des Tuileries au Palais Bourbon et du Palais Bourbon au Luxembourg ! »

samedi 16 octobre 2010

Les dix femmes de l’industriel Rauno Rämekorpi

Quelle santé !
Depuis « Le lièvre de Vatanen », il y a plus de vingt ans, j’ai eu quelques rendez-vous avec Arto Paasilinna, le truculent auteur finnois, dont j’ai beaucoup aimé « Petits suicides entre amis » et « La douce empoisonneuse ». Cette fois la tournée d’un entrepreneur bon vivant chez ses maîtresses, qu’il honore vivement mais sans vulgarité aucune, a forcément un côté répétitif puisqu’elles sont neufs à la queue leu leu à recevoir des fleurs dont il vient d’être couvert pour son soixantième anniversaire. Il faut ajouter sa femme mais celle-ci est allergique au pollen.
Abandonnant sa queue de pie, le généreux bonhomme rejouera un deuxième tour, cette fois en père Noël. Sautillante galerie de portraits, coups de pattes à cette société finlandaise citée constamment en exemple, situations cocasses.
Une de ses partenaires, journaliste est tellement alcoolique qu’avec ce qu’elle a éclusé « elle aurait pu acheter un grand magasin, plus douze kilomètres de route ou, au choix, trois petits lacs. »
De l’humour revigorant.
« Pour se rafraichir en sortant de l’étuve, Rauno resta un moment nu sur le balcon du premier étage, à regarder d’un air songeur la mer glacée. Son corps encore fumant était propre, sa conscience un peu moins, mais un heureux sentiment emplissait malgré tout son âme. »
Conseillé à tous ceux qui entrent en sexagénaire attitude.

vendredi 15 octobre 2010

La démocratisation est-elle compatible avec une planète durable ?

Les interdictions, les incitations, peuvent-elles faire l’objet d’un consensus politique, bien que ce soient les sociétés civiles qui aient amené les politiques à se poser la question écologique ?
Au forum 2010 de Libé à Lyon, Minc que j’ai trouvé moins horripilant que dans ses interventions télévisées pense bien que " la démocratie c’est la possibilité d’interpellation" et regrette "la régression démocratique due à l’affaiblissement des syndicats qui fragilise le modèle contractuel". Critique par rapport à la démocratie américaine qui se rapproche du tiers monde par certains aspects, il remarque que "là où il y a démocratie, les gens mangent à leur faim".
Bien qu’un polar africain porte ce titre : « La bouche qui mange ne parle pas ».
Cependant les questions écologiques en particulier, apanage des sociétés riches, possèdent leurs réponses à l’international.
Montebourg, moins pontifiant que sur d’autres estrades, se montre convaincant sur ses souhaits d’une 6°république, mais la transparence demandée aux pouvoirs publics, l’émergence de contre-pouvoirs, le mandat unique sonnent comme de pieux vœux aux oreilles de l’adhérent de son parti qui constate que ces pratiques vertueuses ne sont pas vécues ainsi dans toutes les sections.
Alors si: « être plus Mars que Vénus au niveau de l’Europe » échappe à mon champ de compétence, ce devrait être à la portée de chaque citoyen de « participer à la délibération », « chercher à bâtir des compromis », voire « éviter que les élus capitulent face à la technostructure ».
Malheureusement ce qui est du B+A= BA demandé aux autres n’est pas toujours mis en œuvre chez nous.
« C’est un très grand classique socialiste que d’être élégiaque dans le discours et réaliste face à une question empirique » A. Minc. Ben Oui, après tout, il était à l’anniversaire de Martine et à celui de Rocard.
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Canard Enchaîné de cette semaine :
"Qu’a demandé Sarko au pape ? Des Stock-onctions !"

jeudi 14 octobre 2010

Femmes peintres au 16° et 17° siècle en Europe.

On ne nous avait pas tout dit: je viens d'apprendre à une conférence des amis du musée que quelques femmes eurent dans le temps une notoriété.
Judith Leyster, va être influencée par son maître Frantz Hals avec ses buveurs joyeux, ses musiciens expressifs, ses portraits d’enfants très vivants. Ses collègues caravagesques d’Utrecht apporteront une profondeur à ses lumières mais sa peinture « reste dans la dette », bien que la reconnaissance lui soit acquise puisqu’elle aura des élèves masculins. Elle demeure dans les réserves du Louvre.
Elisabeth Sirani de la féconde école de Bologne, installera, elle, une école pour les femmes peintres. Elle était réputée pour exécuter ses œuvres rapidement, sa vie intense fut brève, elle mourut à 27 ans. Ses productions ont souvent pour sujet les femmes.
Clara Peeters est une autodidacte reconnue pour ses natures mortes.
Louise Moillon, la protestante du temps de la révocation de l’Edit de Nantes, arrête sa carrière quand elle se marie, elle dont les fruits magnifiques sont savoureux.
Les compositions florales de Rachel Ruysch jettent les derniers feux d’un genre qui connut une grande faveur.
Au tournant du siècle suivant, Anne Vallayer Coster, fille d’un orfèvre du roi sera logée au Louvre. Admirée par Diderot, elle dirigera le cabinet de dessin de Marie Antoinette ; son tableau des panaches de mer dans l’esprit des cabinets de curiosité est étrange et reste dans la mémoire.
Ces pourtant réacs de frères Goncourt écriront pour le XVIII° qui vient :
« La femme est le principe de gouvernement, la raison qui dirige et la voix qui commande ».
Ce sera pour la prochaine séance de Serge Legat aux amis du musée, avec la plus célèbre Elisabeth Louise Vigée Lebrun.

mercredi 13 octobre 2010

J6. New York : histoire.

Le ciel arbore à nouveau ses couleurs des beaux jours, mais la température prouve qu’on n’est pas encore en été. Notre logeuse met à notre disposition son téléphone pour que nous communiquions avec nos familles et french friends.
Nous sommes contraints de quitter notre Métro bondé pour un problème de portes qui ne ferment pas normalement. Une charmante dame s’inquiète de notre sort et nous oriente pour poursuivre notre chemin, nous ne nous en sortons pas mal après avoir demandé à des employés municipaux rassemblés, vêtus de vert, jaune, orange fluo (sont-ils en grève ?)
Nous nous faufilons avec bonheur dans la queue des propriétaires du sésame Pass City, plus rapide que l’autre file sans billet. Il faut passer un contrôle de sécurité avec portique et vérification des sacs par des machines vidéos, enlever veste, montre, ceinture, vider ses poches, c’est à peine s’il ne faut pas découdre les fermetures éclair tant les engins sont sensibles. Les postes sont nombreux, les policiers diligents et organisés et la foule des touristes s’entasse dans les ferries assez rapidement. Nous nous installons sur le pont supérieur dont les bancs sont inutiles, nous sommes mieux debout pour découvrir la vue du quai et des gratte-ciel que nous laissons dans notre dos, et pour photographier Miss Liberty qui nous regarde approcher.
Le ferry se vide presque entièrement. Nous louons des audio-guides en français pour 7 $ et commençons par contourner la statue de Bartholdi, véritable mastodonte sur son piédestal. Nous devons confier obligatoirement nos sacs à dos à la consigne et devons subir un deuxième contrôle de sécurité qui fait râler ma femme d’ordinaire patiente. Pour la première fois nous testons le portique scanner qui nous propulse de l’air par le bas et nous fait dresser les cheveux sur la tête. Nous enchaînons avec le portique traditionnel avant de pouvoir nous rhabiller. Enfin nous sommes autorisés à pénétrer dans le musée, très bien fait où nous découvrons que Violet Leduc puis Eiffel ont contribué à fabriquer la structure métallique intérieure de la statue, avec une armature suffisamment souple, comme pour les ponts, nécessaire pour affronter la puissance des vents. La statue fait face à la France en signe de reproche envers le manque de libertés sous le règne du « dictateur Napoléon III ».
Nous faisons le tour du monument, et au moment de récupérer les sacs à la consigne, nous sommes refoulés d’urgence vers l’entrée du site, au-delà de l’esplanade au drapeau américain dont l’espace vidé est seulement occupé par une policière et un soldat lourdement armé. On attend la levée de l’alerte pour savoir qu’il s’agissait d’un sac trouvé abandonné : les américains sont chatouilleux sur les questions de sécurité, nous avait- on dit.Le ferry nous transporte à deux brasses de là, à Ellis Island, l’île qui vit passer la multitude des immigrants pauvres (12 millions) du vieux continent entre1892 et 1954. Toujours avec l’audio guide après une coupure repas sandwichs-frites dans une salle du musée, qui servait de réfectoire, nous suivons le périple de l’immigrant débarqué : la salle des bagages, la salle d'enregistrement. Des médecins, postés en haut des marches, faisaient un premier diagnostic en observant comment les immigrants montaient les marches. 2% étaient repoussés.
C’était la porte de la terre promise, au risque d’être écarté par un signe à la craie tracé sur le vêtement. La nourriture paraissait parfois exotique aux nouveaux arrivants ; comme cette polonaise qui engloutit une banane avec la peau, ou cet autre ayant donné son plat aux oiseaux. Etaient refoulés les gens présentant des maladies contagieuses, ainsi se servant de retourne boutons, les médecins vérifiaient-ils les yeux malades.
Tout était prévu pour lâcher ensuite les immigrants à l’aventure : banque, provisions, plan des chemins de fer… Les lieux sont gardés tels quels, avec leurs carrelages muraux blancs et des pans de murs avec graffitis sont conservés. Beaucoup de panneaux présentent des portraits, des bateaux « faisant leur beurre » grâce aux troisièmes classes peu exigeantes en service, mais entassées en grand nombre sans confort. L’exil s’explique par les pogroms, les persécutions en Europe… Nous n’avons pas le temps de finir complètement la visite, la fermeture est proche ainsi que le dernier ferry qui nous mène à Manhattan au Battery Park.
Nous longeons l’Hudson sur une promenade piétonne aménagée bien agréable pour les touristes, les joggers et les chiens tenus en laisse ; nous sommes attirés par un bâtiment en verre à l’intérieur duquel nous apercevons de palmiers. C’est le World Financial Building qui une fois traversé, nous place face à la fosse gigantesque laissée par les tours jumelles. Déjà neuf ans. Plaie qui tarde à cicatriser, vaste chantier qui ne s’élève pas vite. Nous ne voyons aucune marque, aucune indication, aucun commentaire qui retrace la tragédie.
Nous rejoignons à pied Wall Street, la Bourse et la statue de Washington. Nous cherchons le taureau emblème du quartier de la finance, symbole de l’optimisme, au contraire de l’ours, pessimiste, ainsi les investisseurs haussiers ou baissiers. Cette bête puissante et virile en bronze d’Arturo Di Modica inspire les touristes en quête de photos souvenirs.
La nuit tombe, l’obscurité s’installe vite entre les buildings qui rivalisent de richesse et de hauteur.
Nous prenons le chemin du retour par le Métro C.La photo 2 est de Dany et la 3 du musée.

mardi 12 octobre 2010

Broderies. Poulet aux prunes. Marjane Satrapi.

Parce que « parler derrière le dos des autres est le ventilateur du cœur », les bavardages des femmes iraniennes à la fin d’un repas de famille sont rafraichissants. Dans « Broderies », elles ne s’adonnent pas à d’inoffensifs travaux pour dames, mais on apprend que manier l’aiguille peut servir dans certaines circonstances. Les langues sont alertes et dévoilent bien des secrets épicés des couples, avec une liberté étonnante. Nous sommes dans les années 50.
Le dessin est toujours aussi évident, les noirs aussi agréables, le récit familial autour d’un joueur de tar original et dépressif nous intéresse par la grâce de la narration.
« Poulet aux prunes » autre livre doux amer publié par l’association garde ce ton original né de l’intime et nous livrant des images d’une société mal connue.
Nous comprenons que Marjane Satrapi soit devenue une auteure de B.D. majeure.

lundi 11 octobre 2010

Poetry

Mon échantillon n’est pas très étendu, mais je suis frappé par la proportion de films coréens traitant de la culpabilité avec un regard acéré porté sur les familles, c’est le cas d’ailleurs dans le cinéma asiatique en général.
La poésie mise à l’affiche n’est pas nunuche, elle s’inscrit dans un quotidien loin d’être rose.
La belle actrice principale (65 ans) aime les couleurs pastel et les chapeaux élégants, elle illumine ce film par sa douce intensité dans sa recherche des mots justes, malgré un début d’Alzheimer. Seront-ils ceux de la vérité ? Film violent sous des airs paisibles.
Nous prenons le temps de faire notre chemin, loin de nos repères familiers tout en fouillant du côté de nos craintes, de nos lâchetés, vers la vieillesse.

dimanche 10 octobre 2010

"La prairie parfumée où s'ébattent les plaisirs”

En prolongeant l’été dans la cour du vieux Temple, malgré les promesses du titre où il est question d’érotisme en terre d’Islam, difficile d’oublier le sort de Sakineh Mohammadi Ashtiani, l’iranienne menacée de lapidation.
Alors les écrits du XV° siècle du cheikh Nefzaoui mis en scène peuvent apparaître comme des mots lointains échappés d’un livre ancien décoré d’arabesques moyen orientales légèrement surannées.
Le lieu rappelle les proximités du off avignonnais mais il manque un brin de folie, à ce recueil de textes étonnants qui soulèvent le voile avec malice et poésie.
Si les comédiens avaient été maghrébins la pièce aurait moins parue simulée. La valeur des huit acteurs amateurs des « Aériens du spectacle » n’est pas en cause, ni la mise en scène de Gilles Escalona qui offre de jolis moments de spontanéité dans les intermèdes où de jeux dans les contes. D’autres moments souffrent, d’après moi, d’être répétitifs, comme l’énumération des dénominations nombreuses de « l’huis » et de « l’instrument » dont le charme a trop tendance à être indexé sur la dimension.
Il a fait bien bon entendre ces paroles dans des pays dont la religion était venue d’un prophète aux onze épouses, quand des barbus ne conçoivent pas des amoureux « à poil » :
« Ne conjoins la femme qu’après avoir badiné avec elle, jusqu’à ce que son eau soit près de descendre. »
« Quelque soit le chemin que tu prennes pour arriver à la jouissance et au plaisir par le pilonnage, le tapotage sur l’huis, la rencontre des deux touffes et tous les moyens employés pour approvisionner la sensation, les joies les plus savoureuses se trouvent réunies dans l’opération de la conjonction, de l’enfournement. »

samedi 9 octobre 2010

Books.

Le titre principal de ce mensuel, que je découvre à son numéro 16, concerne « les 50 millions d’amis » en évoquant évidemment ceux de Facebook. Mais la toile n’est pas la vie, et l’un des plaisirs de la langue, c’est bien de jouer avec les mots, ses différentes dimensions.Ces amis d'ordi ne font pas écran à ceux de la vie.
« Books est une invitation à la lenteur réflexive, à la prise de distance » tout le contraire des réseaux dits sociaux. Le rédacteur en chef vient de Courrier International, il en adopte la démarche en éclairant l’actualité par les livres du monde. Et c’est le même plaisir qu'avec le référent international qui n’amoindrit pas notre regard sur notre pays mais au contraire l’aiguise. Il n’y a qu’à voir l’image de la France renvoyée par l’étranger. Nos Pujadas et autres larbins en sont ramenés à de plus justes proportions.
Avec la liste de best seller au Pakistan ou en Italie ou le succès d’un Pascal Bruckner aux E.U. nous avons une image de l’état du monde qui dépasse l’anecdote.
Stendhal est vu comme gros et impuissant par un biographe allemand et l’interview de Matt Ridley parait tout à fait iconoclaste : c’est un optimiste !
« La nature humaine n’a pas changé, c’est la culture humaine qui a changé »
« Nous sommes collectivement plus intelligents parce que nous combinons, accumulons et échangeons nos idées plus largement que nos technologies. »

Il est question dans les 100 pages aussi bien de la passion de celui qui fit construire le Taj Mahal, que du précurseur argentin de Truman Capote, tué par la junte, qui mêlait journalisme et récit romanesque.
Une américaine cherche en milieu carcéral à conduire les criminels à regarder leurs actes en face, pour les éloigner d’une récidive inévitable pour les 2/3. Entre 20 et 34 ans, 1 noir sur 9 est en prison.
« … Ce type de technique de justice réparatrice fait de plus en plus l'unanimité, à gauche comme à droite. Tandis que cette démarche est en phase avec les notions conservatrices de responsabilité personnelle certains programmes conservateurs d'inspiration religieuse acceptent l'idée progressiste selon laquelle il faut s'occuper du manque d'instruction et d'opportunités d'emploi.A vrai dire, la principale résistance envers ce type de programmes émane de certains « gauchistes »bien intentionnés mais doctrinaires, qui estiment absurde d'attendre un changement de comportement d'hommes qui continuent de subir le racisme, le chômage, les écoles minables et tout l'héritage des inégalités en Amérique. Certes, les conditions dans lesquelles grandissent nombre d'Africains-Américains sont traumatisantes. Mais l'idée qu'on ne pourra traiter les questions de violence, de drogue, de SIDA tant que « ces gauchistes » simplistes n'auront pas la satisfaction de nous voir vivre tous dans une société égalitaire, voilà qui est en soi une forme de racisme, fondée sur la conviction paternaliste que les êtres ne peuvent modifier leurs comportements individuels et collectifs. Quand les hommes ont le courage de faire face à leur propre violence, ils sont capables de surmonter les situations les plus atroces. Aider les hommes violents à trouver des formes plus constructives d'expression de leur virilité pourrait bien être la manière la plus rapide d'améliorer leur avenir et celui de leurs familles. De toute évidence à plus long terme, ce ne sera là qu'une partie de la solution au problème de la violence. La honte et la culture toxique quelle engendre sont cultivées dans les écoles surpeuplées et inefficaces d'Amérique ; dans une économie qui, en période de croissance, profite surtout aux riches … ».
C’est moi qui ai ajouté des guillemets à « gauchiste ».
Heureusement, un récit d’un écrivain Péruvien nous fait sourire : il donne dix sols dans la rue à un vendeur de livres piratés pour acquérir son propre livre : celui-ci vérifie évidemment si le billet n’est pas faux.
Il est question aussi de failles dans le Darwinisme ou dans la démocratie qui n’est pas toujours le meilleur garant de la paix, de la prospérité, de la liberté… Un texte intéressant sur de Gaulle à l’heure où des profs s’opposent à voir figurer « Les mémoires de guerre » au bac : « A la prochaine alternance, devons nous enseigner… l’essai sur le mariage de Léon Blum ». Une bonne occasion de réviser le beau raccourci de Pierre Assouline : « le génie gaullien a été d’offrir à la nation des mensonges qui élèvent plutôt que des vérités qui abaissent. »

vendredi 8 octobre 2010

Elus socialistes et apparentés de ST Egrève: "laisse béton!"

Notre ville se transforme, elle vient de réviser son PLU et va accueillir ce tram, que toutes les listes en présence aux élections municipales appelaient de leurs vœux.
Dès maintenant les banderoles se multiplient : « Le tram Oui, mais … pas devant chez moi , avec des variantes », illustration des NIMBY« Not In My BackYard » « Pas dans mon arrière cour »
« Si les citoyens protestent contre une nouvelle infrastructure uniquement sur la base de sa proximité territoriale sans une opposition rationnellement justifiable, on risque d'entrer dans le syndrome du « seulement dans les arrière-cours des autres ». Dans ce cas, les citoyens s'opposent à un projet tout en reconnaissant sa validité et la nécessité de sa construction, mais ils veulent que la structure soit déplacée dans l'arrière-cour d'autres personnes.» Wikipédia
Et voilà que les élus avec lesquels nous avions mené campagne s’expriment aussi par voie d’affiche pour dire « Non au bétonnage du parc de Fiancey ».
Il est question de construire un bâtiment intergénérationnel, une MJ et une piscine, le long de la voie du tram qui va requalifier un axe important du Nord de l’agglomération.
C’est sur une zone qui avait été réservée pour le lycée du temps où la gauche avait des projets. Elle en avait été empêchée par la droite. Revanche !
Où est la gauche ? A-t-elle perdu tant de ses valeurs, que pour se définir, elle ne sait que dire systématiquement le contraire de la majorité municipale : salle culturelle, imposition… ? Sommairement.
Pour réduire les déplacements et leur lots de nuisances, il faut rapprocher les travailleurs de leur lieu de travail, donc « construire la ville sur la ville », densifier : c’est ce que nous avions compris et approuvé. Les pionniers de la parole se détournent de leurs convictions ; n’ont-elles été que passagères ? La trahison des programmes, voilà ce qui mine la politique.
Une contradiction dans laquelle se retrouvent aussi les Verts pas encore repeints aux couleurs d’Europe Ecologie qui pourtant avaient insisté dans leurs interventions précédentes sur le logement. Le logement en particulier pour les plus modestes faisait partie de nos priorités. Et là en se montrant caricaturaux, nos élus se retrouvent à la remorque de ceux qui veulent que rien ne change : conservateurs.
En contradiction avec des politiques menées par d’autres municipalités de gauche dans la Métro, voir Saint Martin le Vinoux, le programme sur l’Esplanade à Grenoble : incohérents.
La gauche est ici majoritaire à tous les scrutins mais perdante encore et encore aux municipales. L’association RESE qui avait essayé de constituer un lieu d’appui et de propositions pour les élus a éclaté. Cette péripétie n’a pas conduit, un chef de file impétueux, au discernement. « Il va de soi » que ce type d’expression n’a pas été soumis au débat dans les sections, en tous cas pas pour le parti qui s’affiche à cette occasion, dont je reçois encore les publications depuis Solferino.
La démagogie donne des satisfactions fugaces, elle ronge gravement le débat public, elle pourrait décourager ceux qui croient à la démocratie, au progrès, à la fidélité à des convictions, au courage. Des grands mots. Oui.
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Proverbe africain : « Qui avale une noix de coco, fait confiance à son anus »
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Dans le Canard Enchaîné de cette semaine : « la droite remanie…la gauche remanif. »
Et ce dessin :

jeudi 7 octobre 2010

La France de Depardon.

Pour cette promenade dans la France provinciale, les photos du fils de paysans sont vraiment en couleurs : façades de boucherie et du café PMU, des panneaux, des volets…
Il n’a insisté ni sur les ronds points ni sur les zones industrielles, pas plus qu’il n’a évité les poteaux électriques pour ne pas effleurer le pittoresque qu’il fuit. A l’approche de l’exposition de ses photographies à la BNF, Télérama en propose 56 dans un hors série qui accueille aussi J. Rouault, P. Jourde, F. Bon et d’autres écrivains qui apportent leur regard, ainsi que des géographes, des historiens de la photographie, et bien sûr, le bavard Raymond.
« Dans mes photos je me débarrasse d’une certaine esthétique. Volontairement et consciemment. Ce n’est pas ça l’important. C’est plus le lieu qui y apparaît, le lieu habité et moi-même dans ce lieu. »
Ces photos des territoires se situent dans l’entre deux, ni rural profond qu’il connaît si bien, ni les grandes agglomérations. Même s’il s’est débrouillé pour saisir des paysages sans personne, avec sa chambre 20X25, son regard modifie le nôtre, sur La France vue du sol avec ses pointillés, depuis le trottoir avec ses herbes oubliées.
« Le monde est devenu rectiligne. A présent, lorsque nous passons, par la nationale, devant la bande déchirée des bois noirs, nous savons que, derrière, les replis du temps se sont résorbés, l’ombre s’est dissipée, il n’y a plus rien. » P. Jourde.

mercredi 6 octobre 2010

J 5. Harlem : religion et musique.

Pour préparer le jour du seigneur, nous allons dans une église du quartier où l’on nous demande si nous parlons portugais
Puis nous prenons le métro vers Harlem, nous trouvons aisément une place assise pour chacun : tranquillité d’un dimanche matin. Nous repérons sans hâte l’église « United House of Prayer for all people » à l’angle de l’avenue Frederick Douglas et West 124 street. Nous sommes un peu en avance. Alors que nos trois femmes attendent à l’intérieur, nous partons en maraude de quelques photos. Au bout d’un moment, un monsieur conduit les français informés par le Routard jusqu’à l’église accessible par un ascenseur après un petit cheminement parmi des bureaux. Ce lieu de culte moderne ne présente pas d’intérêt architectural : grande salle éclairée par une verrière à deux pans, à travers laquelle se détache une croix sur fond de ciel encore bleu. Des miroirs, placés derrière quelques fauteuils confortables, agrandissent l’espace, faisant face au public. Nous ne sommes pas autorisés à photographier, il y aurait pourtant de quoi à faire avec les arbres généalogiques des donateurs ou le portrait distingué des différents prêcheurs de l’église crée en 1919.
L’office commence avec deux orateurs. Ce n’est qu’au bout d’une 1/2 heure que la salle se remplit de fidèles et de participants prêcheurs-chanteurs avec orchestre de cuivres composé de trombones, hélicon, tuba, percussions, mené par une joueuse de cymbales métronomique. Le temps s’écoule sans qu’on s’en aperçoive, avec l’alternance des paroles en parlé /chanté, morceau de musique en fanfare, chants, quête en grande pompe et applaudissements « God is good ! ». Certaines femmes noires portent des vêtements blancs, comme leurs chaussures, et leurs bas et coiffe. D’autres ont enfilé une robe couvrante en tissu soyeux, d’autres encore de coquets tailleurs rose ou mauve. Les touristes s’éclipsent progressivement au bout d’une heure trente, deux heures.
Nous pensons aussi partir, mais un trio (2 hommes et une femme) exprime une gamme de nuances différente de tout ce que nous avons entendu jusque là. Vont alterner encore avec la fanfare, un solo de femme qui nous rappelle « Bagdad Café », un quatuor de jeunes mamans, et une quête style loterie pour réunir la somme de 200 $ à laquelle participent même les musiciens.
Nous finissons par quitter l’église, contents de cette deuxième mi-temps plus authentique et plus vécue à travers les gens du quartier. Il est déjà 14h 30 et nous souhaitons manger rapidement. En longeant la rue de l’Apollo, la mythique salle de spectacle de James Brown et de Michael Jackson, où les petits marchands se sont installés, Dany nous offre des cabas à l’effigie d’Obama, vendus par un nigérien et négociés en français avec un compère « cousin » sénégalais.Nous trouvons un peu plus loin un Burger King. Une jeune femme nous propose son assistance pour la commande, pour nous éviter d’être escroqués et nous tuyaute pour un concert de gospels ce soir. Dans le restaurant, des dames endimanchées osent des chapeaux incroyables et des habits des mille et une nuits en tissu doré. Leurs tailleurs gris perle très chics tranchent dans cet univers où tous les lieux ne sont pas dans leurs atours du dimanche.
Nous partons nous promener dans Harlem, vers le Nord. La cathédrale a ses chapiteaux sculptés de scènes contemporaines. L’intérieur très vaste révèle de beaux vitraux dans les bleus. Il y a un office mais la chorale est muette.
Sur les rives de l’Hudson, nous remontons vers le mémorial de Grant, le général nordiste. Nous entrons dans l’église de l’université privée de Columbia, le temps que des musiciens évacuent leur matériel après un concert. C’est une belle église de style gothique, avec dans le chœur comme des flèches finement sculptées. Derrière les bancs des livres de psaumes en différentes langues et des enveloppes pour des donations sont à disposition. Nous pénétrons ensuite dans un des bâtiments de l’Université, celle d’Obama, construite dans un style moyenâgeux Dans la chapelle revêtue de bois, so british, répètent une jeune chanteuse et un pianiste, dans les bibliothèques travaillent à l’ordinateur des étudiants studieux. Dans les couloirs quelques photos en noir et blanc ajoutent un air de tradition à ces lieux. Sur le chemin du retour, nous nous arrêtons devant une salle de gym pour enfants visible de la rue et devant un parking de voitures de police près d’une fresque vantant les mérites des agents protégeant la population.
Nous trouvons sans problème le « Greater Refuge Temple », 2081 Adam Clayton Powell Jr Beva recommandé à midi au burger King.
Nous sommes placés par un homme dans des fauteuils de cinéma face à une scène, loin des images que nous avons d’un lieu de culte. Des chanteurs se produisent déjà devant un public qui s’installe et s’affaire s’accommodant d’une sono à la limite de la saturation. Nous sommes réellement les seuls blancs à assister au spectacle, ou plutôt nous sommes au centre du spectacle qui se déroule dans la salle. Les gens dans leurs vêtements du dimanche, dansent debout bras levés vers le seigneur, claquant des mains avec frénésie ou frappant sur des tambourins amenés à cet effet. Deux grosse dames devant nous ondulent avec la grâce que peuvent souvent dégager des personnes fortes, avec parfois un minimum de gestes ou dans une transe aidée par une orgie de décibels. Ça monte, ça chauffe, ça chante sur scène et dans la salle, et les formations vocales différentes se succèdent, accompagnées par une batterie et une guitare basse poussée à fond, un orgue électrique, un sax et une trompette. Une belle vieille dame très digne dans son élégant costume bleu-mauve et son chapeau assorti se déplace pour nous serrer la main. L’accueil est chaleureux, le public exprime sa ferveur. Nos voisines de devant n’hésitent pas à consulter leurs messages sur leur téléphone portable ou à photographier la scène, les gens entrent et sortent, parlent, s’embrassent dans une ambiance bon enfant vraiment pas guindée. « C’est une tranche ».
Mais il est déjà 20h 15, il faut être raisonnables et penser au chemin du retour en métro de Harlem à Brooklyn. Nous avons la chance de trouver un « Delly shop » ouvert dans le quartier pour acheter du pain et un journal pour nous tenir au courant de l’évolution du volcan islandais. Service minimum en cuisine : légumes surgelés, jambon, salade. Les partisans de la bière sont partagés entre Corona et Budweiser. Il est déjà onze heures.

mardi 5 octobre 2010

Blast. Larcenet

Le gentil dessinateur de BD à barbiche qui mettait en cases ses premières expériences de papa était craquant. Quand il avait évoqué son père, sa ligne claire s’était assombrie. Avec ce premier volume, « Grasse carcasse » d’une série à venir, il nous trempe dans la noirceur totale.
Un interrogatoire policier fait remonter aux sources de son malheur, un personnage accablé par le poids de son corps, fuyant la société dans une nature sans ruisselets chantants où se réfugient quelques miséreux. La nuit et la boue sont sur le chemin de Polza Mancini qui n’atteindra pas, pour de vrai, les statues de l’île de Pâques qu’il voudrait rencontrer. Les seules couleurs dans cet univers ténébreux sont des crayonnages d’enfants pour traduire un moment exceptionnel de soulagement intense (le blast), délire halluciné, qu’à pu vivre cet écrivain clochard dont on s’en veut de le trouver sympathique alors qu’il a commis quelque chose de grave dont on ne sait rien : troublant.
Beau et fort jusque dans ses silences.

lundi 4 octobre 2010

Benda Bilili. Renaud Barret Florent de La Tullaye

Du fin fond d’une misère noire viennent des étoiles. Sur leurs fauteuils roulants le « staff » des musiciens atteints de la polio, dans les rues de Kinshasa, où vivent 40 000 enfants, nous enchante. Le tempo de leurs chants, de leur musique venue de cordes élémentaires, cet optimisme qui renverse les montagnes nous font partager un conte rude mais vrai. La « cour des miracles » n’a jamais si bien porté son nom avec deux réalisateurs qui concrétisent cet éternel mirage : le cinéma peut servir. Un CD est sorti qui prolonge le plaisir et une tournée européenne a été organisée. Sans déférence, à bénéfice réciproque : de grands bonhommes se révèlent. La fraternité autour de la musique nous fait sortir de la salle avec des larmes d’émotion et un sourire qui a pu naître de situations rigolotes mais aussi d’une foi dans la vie qui économisera bien des cachets. Nous nous levons de nos fauteuils. Même si le mythe de l’Europe comme Eldorado ne risque pas d’être ébranlé. « Très très fort ».

dimanche 3 octobre 2010

Concert à Courchevel avec Lodéon

La FACIM, fondation qui valorise le patrimoine savoyard, conviait gratuitement à un concert présenté par Frédéric Lodéon dans son auditorium haut perché à Courchevel. Le pédagogue bavard nous a fait découvrir Jean Cras et Joseph Suk. Le premier, breton, est resté toute sa vie officier de marine, le second, tchèque, a gagné sa vie comme violoniste. Le programme était de qualité et il n’était nul besoin de titrer « Star académie classique ». Un quintet ouvrait sur des évocations maritimes. Si la harpe souffre à mes oreilles de ses connotations cristallines tellement aquatiques, j’ai apprécié cette fois les cordes. Au dire des mélomanes, que j’accompagnais, Suk avait des airs de Brahms, et là encore le dialogue entre piano et violon plus perceptible en vrai, a soulevé la salle pleine de jeunes et de coréens. L’accessible Lodéon auprès de qui je m’étonnais de cette forte présence asiatique m’a rappelé qu’il y a trois ans, il y avait 50 millions de pianistes chinois, et là bas les choses vont très vite. Deux pianos face à face ont joué West Side story de Bernstein clôturant cette belle soirée après trois romances de Schumann. Nous ne nous souvenions plus du nom du réalisateur de la comédie musicale, mais le compositeur avait marqué les mémoires. Ses harmonies en constante rupture nous ont embarqués avec leurs rythmes énergiques, mais la réconciliation entre les deux bandes rivales, les Jets et les Sharks, est apparue plus que jamais du domaine du rêve.

samedi 2 octobre 2010

Le chemin des âmes. Joseph Boyden

Mon amie Dany a beaucoup aimé ce livre :
« L’horreur de la guerre des tranchées vécue par deux volontaires, indiens canadiens Cree, en parallèle avec les souffrances de la dure vie traditionnelle de leur vieille tante Niska.
Double découverte : une nouvelle approche des conditions de survie des soldats - et Xavier et Elyah ont un rôle particulier de « chasseurs ». Un récit magistral et sombre
d‘une force rare, et l’exotisme des traditions indiennes lorsque Niska a la parole.
Remarquablement agencé, de France en Grand Nord, on est emporté par un souffle irrésistible servi par une écriture nerveuse et précise. »

C’est encore plus fort d’être transporté par ces 470 pages parce qu’elles traitent une nouvelle fois de la guerre de 14/18, sujet rebattu. Deux indiens du Canada dans l’enfer des tranchées. A aucun moment n’apparaît la recherche formelle d’un angle original, une posture vendeuse. Ces deux hommes avec leur formation au plus près de la nature rencontrent l’inhumanité à son sommet. L’alternance des récits en forêt et sur les rivières constituent une respiration-quoique- après les déchaînements furieux sur la ligne de front. La narratrice restée au pays recueille un des rescapés ; son récit alterne avec celui du neveu devenu guetteur et tireur d’élite. Les changements de voix se font subtilement et posent, au cœur du chaos, le problème de l’identité.
Au cours d’un incendie en forêt :
« Les deux jours suivants, rien ne change. C’est à croire que la rivière nous a conduits sous terre. La fumée ne veut pas s’en aller ; pas un souffle de vent ; on se sent suffoquer. Il n’y a plus un oiseau qui chante ; plus un arbre dont le feuillage pourrait bruire… »
Difficile de lâcher ces destins palpitants même si je n’ai pas saisi ce qui amène ces coureurs des bois en mocassin à s’engager dans l’armée. Je ne peux que me joindre au concert de louanges entourant cette œuvre que je vais m’empresser d’offrir à quelques vieux potes qui pourront vérifier que l’excellent titre est à la hauteur de ce qu’il annonce.