mardi 22 décembre 2009

C’est un jour de mai. (Troisième partie)

C’est un jour de mai, peut-être un dimanche dans un bourg de Moselle. Un homme, les chaussures alourdies de boue se présente d’abord chez le curé puis au commissariat de police. Il s’appuie sur un grand parapluie noir.
Il dit à voix haute et claire :
- Je viens de tuer ma femme, Philomène.
Il sort de sa poche un revolver, de marque Ortgies, le dépose sur une table que j’imagine en bois brut. Et il attend.
Cet homme s’appelle Jean-Baptiste. Il a 44 ans. Il vient d’assassiner ma grand-mère Philomène d’un coup tiré à bout portant à dix centimètres de sa bouche, en présence de trois de leurs onze enfants. Les témoins sont le bébé de deux ans que la victime a entraîné dans sa chute, leur fille Catherine âgée de seize ans, mon père Charles, adolescent de treize ans.
Les archives de Strasbourg m’ont révélé ce drame en 2003.
Charles est décédé sans jamais parler de ce meurtre.
Vit toujours Ernestine, en Lorraine. Le bébé que tenait Philomène quand une balle tirée à dix centimètres de son visage l’a rayée des vivants.
Les survivants ont poursuivi leur existence, ont fondé des familles. Mon grand-père a fini ses jours en Guyane au bagne de St Laurent du Maroni. Condamné à 30 ans de réclusion en 1924, il fut élargi 9 ans plus tard pour bonne conduite. Il est mort vers 1944 de « suites de tuberculose », formule consacrée depuis toujours…
Les archives du Bagne à Aix en Provence disent très peu de choses de l’existence de Jean-Baptiste. Il n’avait pas le droit de retourner en France et aurait exercé son métier de menuisier au 17 rue Victor Hugo à St Laurent-du-Maroni.
La fille d’Ernestine m’a dit qu’il envoyait à sa famille des objets de marqueterie mais n’écrivait jamais aucune lettre.
Un de mes frères, travaillant à Cayenne m’a envoyé la photo du dernier logement de Jean-Baptiste. Une case de bois peint en blanc avec un toit de tôle ondulée rapiécé. Cette habitation exiguë est encore habitée.
Je n’ai jamais visité les dernières demeures de mes grands parents paternels. Pour lui, une case rongée à l’équateur avant la fosse commune. Pour elle une grande cuisine meublée d’un buffet, d’un poêle, de quelques étagères, d’une table et de deux bancs, comme la décrit un des rapports versés au dossier de cette affaire de violence extrême. Philomène et Jean-Baptiste avaient le même âge : 45 ans. Ils avaient eu onze enfants et vivaient en instance de divorce quand les mines de la jalousie, du lucre, de l’alcoolisme leur ont explosé en pleine gueule : une morte, un bagnard, onze orphelins.
Une de leurs petites filles cherchant par l’écriture comme perdue dans les bois de l’écriture la piste menant aux paroles qui ne lui avaient pas été dites. Paroles exécutées par une balle d’Ortgies dans la bouche de sa grand-mère, paroles à jamais foudroyées sur les lèvres d’un jeune homme, mon père.

Et que faire de pareille histoire, sinon parler juste à défaut d’être exacte.
Ecrire.

Marie Treize

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