mercredi 24 juin 2009

Soutien. Faire classe # 35


C’est le chapitre où la distance de quatre ans séparant la transcription de mon expérience de sa relecture risque le plus de périmer quelques réflexions.
Les lecteurs pourront bien apporter leurs contradictions après la mobilisation pour la défense des RASED et des formes de soutien nouvelles proposées par Darcos qui semblent bien reçues par les parents, quant aux élèves ?
« Prenez à présent M.C. psychologue, ayant un salaire de 15 000 francs par mois. Posez le devant un pauvre[…] Comme il est animé d’idéaux forts modernes, il ne va pas tomber dans le panneau de la charité qui n’est rien, a-t-il lu, qu’une mauvaise conscience renversée. Considérant, fort philosophiquement, que la charité ne servait qu’à laver les remords des nantis pour perpétuer le mal des malheureux, il y renonce, sublimement. Que va-t-il entreprendre qui soit fidèle à ses idéaux ? [ … ] Ce philanthrope va offrir à ce malheureux, devinez quoi, un tract. »
L. Salvayre
Au pays des écoliers, triomphait parmi les beaux mots comme « humanités » qui vient d’être mazouté par De Villiers, « élever » et un terme tombé sous l’opprobre :
classe de « perfectionnement ».
Oublié sous la vague intégrative, l’expression cachait la réalité de la relégation. Cette difficulté à séparer va entraîner sur plusieurs années une assimilation de tous les handicapés dans les classes. Mais des desseins restrictifs se cachaient derrière la générosité affichée. Les structures adaptées se réduisent. Des corporatismes s’imposent avant la prise en compte des défavorisés, en principe les premiers concernés. L’ensemble du corps enseignant n’a pas anticipé, d’une façon bien zélée, les limitations annoncées chez les personnels du spécialisé souvent jalousés pour un statut jugé plutôt avantageux. Effectivement leurs conditions de travail les dispensent parfois des tâches les plus prosaïques. Ils subissent la loi de la généralisation, dans toute son outrance, alors qu’ils supportent certains groupes ou individus difficiles, tâches insurmontables aux yeux de ces chers confrères.
Les psychologues, maîtres G, E, agents des R.AS.E.D. qui officient encore, s’éloignent du terrain, leurs circonscriptions s’étendent. La prévention tourne à l’incantation : les psys en cellule seront réquisitionnés quand il y aura du sang sur le trottoir, le temps d’un flash. Mais conseiller le recours à un professionnel demande toujours beaucoup de doigté tant leur domaine impressionne. Beaucoup de temps, d’énergie sont perdus faute d’accompagnement précoce.
L’aide ponctuelle, rapide, ou au long terme, patiente se raréfie.
Pour des élèves qui peinaient, nous avions trouvé une formule assez satisfaisante. Plutôt que de poursuivre des dispositifs qui prennent en charge individuellement ou en petits groupes quelques élèves pendant la classe, la maîtresse de soutien assurait après 16h 30, une heure d’ « aide aux devoirs ». Ce travail a porté ses fruits au-delà de la formule anodine de l’intitulé et a permis de clarifier les objectifs, diversifié les approches. Les volontaires désignés, après entretien avec les parents, bénéficiaient des compétences d’une professionnelle. Elle rassurait, épaulait ces enfants peu attirés par les études, leur apportait l’attention individuelle qui ragaillardit. La disponibilité de cette collègue, la confiance de l’administration, ont permis de réaliser une aide qui ne stigmatisait pas. Ce rendez-vous hebdomadaire souple n’a pas contraint ceux qui n’en voulaient pas, et d’autres s’étaient assurés d’une attention si convaincante qu’ils poursuivaient en toute autonomie leurs apprentissages : gagné !
Que de réunions, de plans mis en place avec tant de spécialistes du spécialisé ! La règle aujourd’hui pousse à la complication, à l’inflation des sigles (P.A.I. P.A.E. P.P.E. R.) et de la paperasse, quand parfois il n’en tiendrait qu’à un bon C.D.P.A.C( coup de pied au cul). Il est tentant de succomber à ces caricatures dans un milieu qui cultive l’art de la litote, de la compassion contre productive. La prudence dans certaines prises en charge touche à la non assistance à personne en danger. La société se révèle là dans tous ses faux semblants à travers ses failles, ses faibles : nous sommes passés du cancre sympathique au revêche promis à l’enfermement, dans son clan, ses drogues, ses médicaments, la tôle.
Je ne sais plus qui disait qu’une statue dédiée au mauvais élève devrait être dressée dans la cour du ministère, tant il a pu faire avancer la pédagogie. En matière d’hommage j’avais dressé à l’entrée de la classe une sorte d’autel aux ânes en bonnet et de tous poils avec toutes les versions du figurant de la crèche. L’utilité de l ’erreur était proclamée.
Dans l’identification des déficiences, les modes sévissent : ainsi combien de droitiers contrariés quand il était devenu distingué d’être gaucher ? La dyslexie est en vogue mais pas autant bien sûr que les intellectuellement précoces qui ont contribué à la bonne fortune d’évaluateurs doués. La dyspraxie connaîtrait une certaine faveur après l’ hyper- activité.
Pris en charge, le jeune se démobilise souvent sous l’abondance des bonnes volontés qui l’accompagnent voire le précèdent et veulent à sa place. Il n’a pas besoin de courage : la société pense pour lui. Bien sûr tout ne se résout pas à coup de volonté bonne et les blessés d’une société impitoyable sont en nombre excessif. Sans investissement personnel, point de progrès possible et le seul inventaire des raisons de caler pourvoit en alibis mais n’offre pas les moyens de s’en sortir. Lorsque 1/4 d’un établissement pas spécialement à la dérive relève de plans divers d’accompagnement, cette profusion nuit aux plus nécessiteux. Quand Cyrulnick montre dans ses récits des enfants en souffrance absolue se redressant plus forts, il nous donne des raisons de ne pas nous amollir sous les faisceaux de raisons qui justifient bien des relâchements, des lâchetés.
Le relevé de paradoxes ne peut durablement tenir lieu d’analyse. La dictée de Pivot culminait à son apogée à l’époque où l’exercice était jugé obsolète dans les classes. Jamais tant de classements, de jugements définitifs, de caricatures n’ont dénigré l’éducation nationale alors que dans l’institution les jugements sont tempérés jusqu’à l’anodin, les orientations retardées, les notes gonflées. Plus dures seront les chutes après de multiples chhuuts ! Hors de quelques niches artisanales où peut on trouver des fiertés de transmettre ? Le travail est-il honorable ?
Le petit fonctionnaire a déjà du mal à conduire sa petite cohorte pendant neuf mois, les doutes l’assaillent quand sa propre progéniture biberonnée à la culture s’oriente vers des rôles d’intermittents du divertissement dans le parc des loisirs qu’est devenue la France.
Un bandeau, attribut symbolique de l’amour, nous recouvre les yeux, il étouffe quand l’attention à l’autre va du bavardage anesthésiant au silence.
A-t-on remarqué que certains ne veulent même pas appuyer sur le bouton pour appeler le fameux ascenseur social ? Les médias valorisent plus volontiers la passivité, la désinvolture goguenarde que le sérieux et la bonne volonté. Et comment souhaiter participer à une société qui se présente comme bien peu aimable ?
L’école primaire accueille tous les enfants, les orientations explicites ne surviennent pas ici.
Des assignations par défaut s’imposeront aux familles qui se seront gardées des appréciations dures mais justes. Ceux qui n’auront pas eu la souffrance silencieuse bénéficieront de plus de compréhension que les tout gentils.
Trop timidement, nous avouons nos ambitions de former des individus cultivés, des citoyens concernés, des producteurs actifs, des consommateurs éclairés.
Dans cette tentative d’écrire depuis ma fenêtre je ne saurai aller au-delà des premières impressions. Je m’embrouille avec les intelligences. A partir de quel âge proposer une orientation ? Envoyer en mécanique les recalés ne sert pas l’avenir de la filière. Dans mon parcours personnel, j’ai cherché à fuir le travail manuel et maintenant je me trouve en porte à faux à en invoquer la noblesse. Je regrette de ne pas savoir doser un béton - intelligence pratique - alors je picore des mots dans les romans, me parfume, m’enfume. Maintenant que j’ai posé mes chaussons de hussard au coin du radiateur que faire pour celui qui rêve de médecine mais préfère dormir ? Quant à celui qui pense qu’aider les enfants à grandir, c’est cool alors qu’il n’a pas grandi lui-même, je ne sais que lui dire : « eh bien travaille ! »… «

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