mardi 16 juin 2009

On n’est pas sérieux, quand on a septante ans

On n’est plus sérieux, quand on a septante ans
Un beau matin, on se lève, on n’a pas dormi
On dit adieu les rêves, on salue ses envies
On regarde au miroir ses rides de vieil enfant.

On enfile un vieux short, des baskets rose bonbon
On nettoie la bécane, on regonfle les pneus
La selle est un peu molle, propice aux abandons
Le chemin a des parfums mouillés dans les creux

Voilà qu’on aperçoit une casquette bleue
Des yeux rieurs, une barbiche claire, c’est Léon.
Septante ans, poète et vainqueur du Marathon
De New York, Paris ; on l’avait perdu des yeux

Premier mai ! Septante ans ! « - On se laisse griser »
La sève printanière, plus forte que vos artères
Est un alcool capiteux qui vous fait tanguer
- Bonjour ! – Salut ! Ce jour exauce mes prières !

On met un pied à terre, on fait des regards doux
On s’essuie la nuque, on boit à son bidon
Vous aimez pédaler sur la digue, dit Léon
On opine, on lui offre un caramel mou.

Sur la berge de l’Isère tremblent les peupliers
Les neuves hirondelles chassent les moustiques
De nos sacoches kaki, on sort nos pique-nique
Pour lui pain et fromage, pour soi du lait caillé

L’ombre est fraîche, il vous couvre de son K-Way
« Quand on a septante ans, mieux vaut être prudent ! »
Ses yeux brillent comme lacs ; on n’ose dire ouais !
On s’endort pour de vrai dans un décor charmant.

On rêve du temps jadis, on était si sérieux
L’amour unique pour toujours mettait le feu
A chaque heure. On était plein et le monde vide.
A septante ans le monde est plein et le cœur vide.

Léon rampe vers vous, à la bouche une violette
Il dit votre nom les bras pliés sous la tête
Sa main touche la vôtre, il chante un vieil air
« La belle si tu voulais… », on ne fait pas la fière.

On murmure : « nous dormirions ensemble, lonla »
Il poursuit, tremblant : « dans un petit pré carré »
On s’entête : « sous les lilas et les résédas »
On trouve sur les fougères une couche pour s’aimer

On revient chaque soir au chemin des amants
On récite Rimbaud, on chante du Ferré
Le cœur est plein, le monde aussi, chère liberté
On se fout d’être sérieux quand on a septante ans.

Marité
Rappel de l'original:
ON N'EST PAS SERIEUX QUAND ON A DIX-SEPT ANS
On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans
Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
On va sous les tilleuls verts de la promenade.
Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits, - la ville n'est pas loin, -
A des parfums de vigne et des parfums de bière...
Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon
D'azur sombre, encadré d'une petite branche,
Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche...
Nuit de juin ! Dix-sept ans ! On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête...
On divague, on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête...
Le coeur fou robinsonne à travers les romans,
Lorsque, dans la clarté d'une pâle réverbère,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l'ombre du faux-col effrayant de son père...
Et, comme elle vous trouve immensément naïf,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte, et d'un mouvement vif...
Sur vos lèvres alors meurent les cavatines...
Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août.
Vous êtes amoureux. Vos sonnets la font rire.
Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût.
Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire !...
Ce soir-là,... vous rentrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade...
On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans
Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.

Arthur Rimbaud

1 commentaire:

  1. excellente idée de publier ce merveilleux poème d'Arthur
    bien merci

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