mercredi 28 janvier 2009

De mer, la classe. Faire classe #19

J’aimais à penser que les lumières de l’école allumées l’hiver avant le réveil des enfants s’inscriraient prioritairement dans mes souvenirs; et puis les témoignages des anciens élèves qui ressassaient leur classe de mer m’ont amené à me confondre avec eux dans la célébration de ces hautes heures.
« Ce n’est pas en sortant du port, mais en y entrant qu’on détermine la réussite d’un voyage. » H.W Beecher
Nous avions choisi la Bretagne exotique pour les montagnards que nous sommes.
Voyage en train, traversée de la France : La Roche Migène sous la clarté de la lune.
Nous avons pratiqué les activités spécifiques à l’océan: pêche à pied, catamaran, kayak, étude d'une faune et d'une flore particulières, sorties à Concarneau, au Guilvinec. C’était grand !
Deux classes de la commune bénéficiaient du séjour. Des enseignantes en retraite apportaient leur expérience pour aider à l’encadrement de la vie collective. Nous avons partagé avec ces amis, travail, fatigue et plaisirs. Nous avons vécu intensément, à évoquer dans tous les rapports « le projet de l'école centré sur le développement de l'écoute et du langage », cette formule sent le procès-verbal administratif qui aime entendre : « nos préoccupations quotidiennes portent sur le civisme ».
L'océan et la Bretagne constituent des milieux propices à une ambiance de légendes, de contes. Comme chez les korrigans, en soirée, nous nous sommes regroupés au coin du feu d’une vraie cheminée et nous avons été enchantés.
La vie en groupe avec ses contraintes, ses découvertes a été une chance pour s'ouvrir aux autres. Les exigences des éducateurs du centre de Beg Porz à Kerfany s’inscrivaient tout à fait dans nos démarches. L'emploi du temps particulier pour cette classe « bleue »a incité à faire son lit, à s’asseoir pour déjeuner tranquillement, à bien dormir, à bien manger, à dire « bonjour ».
Nous n’avons pas dérogé non plus à nos fondamentaux :
La lecture s’imposait pour découvrir des écrits concernant le milieu maritime, les documentaires, pour identifier les prises recueillies dans l'aquarium et développer des informations sur celles-ci, et les romans pour perpétuer la vieille lubie de l’instit’ qui prie pour le livre quotidien.
L'activité poésie se maintenait sous la forme d'engagements nourris par un recueil consacré au thème de la mer. Les élèves ont présenté leur travail aux parents lors d’une soirée avec une projection de séquences tournées au caméscope.
Les apprentissages systématiques en grammaire, conjugaison, orthographe ont été mis entre parenthèses. Mais des opportunités nombreuses favorisaient la production d’écrits dont les rectifications ont alimenté un lexique personnalisé (correspondances, comptes-rendus, carnet de bord personnel, journal de classe de mer commun).
Nous avons également communiqué par Internet des informations hors de tout artifice, avec l’apprentissage d’une solitude inédite et collectivement en direction des parents et de l’école.
A la frontière entre mathématiques et lecture nous avons pris connaissance des horaires de trains et l'étude des nombres sexagésimaux a pu s'appuyer sur des préoccupations naturelles ; utilisation d'unités nouvelles ; étude des coûts ; notion de budget ; la réalisation de plans du centre en vue de la présentation aux parents entrait pleinement dans le domaine géométrique (échelles).
Quotidiennement, nous avons relevé des données météorologiques directement liées à nos emplois du temps. « Ouest France » y a pourvu. La lecture de plans s'est élargie aux cartes marines.
Et la situation de plain-pied des classes a favorisé des activités difficiles à mettre en place dans l'école habituelle : tels que des travaux manuels bruyants ou salissants, et le ping-pong et le football enfin possibles!
Le sort de chaque crevette des aquariums ne laissait personne indifférent. Les algues livraient quelques secrets après des expériences originales. Au chapitre unité du monde vivant, la matière ne manquait pas pour appliquer une approche écologique de l'environnement. Elle a activé sans doute une prise de conscience de problèmes tellement abstraits vus de notre quartier. Nous sommes entrés un peu dans la complexité de la compréhension du phénomène des marées. Nous avons mis en œuvre des notions d'orientation. En technologie des instructions et des conseils ont été prodigués pour les appareils photographiques de chacun et aussi pour le numérique de la classe.
La nouveauté des paysages a rendu plus marquantes des observations concernant des repères historiques. Les sorties diverses à travers cette partie de la Bretagne (habitat, activités des hommes...) ont apporté des éléments de comparaison pour une géographie vivante tout au long de l'année. Nous avons eu l’occasion rare d’étudier le travail des hommes : ostréiculteur, pêcheurs.
Une plage à marée haute puis basse nous a procuré l’occasion de deux séances de dessin sur le champ; nous avons essayé de saisir la multitude d'occasions offertes pour lire ces paysages. La proximité de Pont Aven célèbre pour son école de peinture a fourni une opportunité d'enrichir nos cultures artistiques.
La pratique du kayak avec des déplacements inédits et le catamaran ont développé des solidarités indispensables en milieu instable. L’utilité de l’équipier n’est pas une construction de l’esprit.
Quelques vigoureux chants de marins ont rythmé le séjour.
Un livret avec des lectures, des documents, des cartes a constitué un outil pour les recherches,ainsi qu'un carnet de bord constitué au fil des jours sollicitant des compétences en expression écrite et artistique.
Nous avions installé en 2003 un site Internet pourtant réactualisé qui avait connu 80 000 visites jusqu’au jour où un fonctionnaire CRDpesque l’a fermé sans daigner m’en avertir. Il est vrai, je suis hors circuit.
Se sont donc empilés dans nos bagages (de « Lann Bihoué ») :
1. Documents Bretagne 20 pages : histoire, géographie, sciences.
2. Livret de lectures de 15 morceaux choisis : d’Hemingway à un documentaire sur les phares.
3. Un cahier bleu : réponses de lecture et vocabulaire.
4. 20 poésies.
5. 10 chansons en livret.
Nous avions bourré nos coffres à trésor, de romans, de documentaires, de pinceaux, de vernis, de grandes feuilles comme pour des aventures Caraïbes.
Les domaines civiques, géographiques, technologiques, de l'éducation physique, de l’expression orale et écrite ressortent clairement pour les éducateurs. La découverte de nouvelles saveurs, de nouvelles camaraderies, de nouveaux rythmes, de nouvelles émotions, de nouvelles compétences, une autonomie plus affirmée, une paix plus grande, s’inscrivent dans l’expérience des élèves. Les journées étaient tellement pleines que le sevrage de télévision et de play station fut indolore, et pourquoi le masquer un part de mon plaisir. Séjour 12 étoiles. Allez, je l’accepte : « c’était trop bien ! »
Nous avons vécu 24 heures sur 24 des moments de prédilection et d’empreintes, témoins de l’évolution des relations du précepteur avec ses ouailles. Finis les petits bonsoirs affectueux comme il y a dix ans : une cohorte de pédophiles à forte teneur médiatique était passée par-là. Accompagner des enfants à la douche devenait un objet de gène alors que les joyeuses ribambelles sous leurs serviettes respiraient la santé. L’homophonie approximative et cruelle atteint le pédagogue. Finalement après la séquence nostalgie d’un paradis perdu, je savais mieux voir les abus d'une institutrice envahissante sous ses câlineries interdites aux hommes. « Ma puce », quand l'émotionnel ficelle la liberté du petit.

3 commentaires:

  1. Merci pour cet article témoignage enthousiate qui tombe à pic pour moi .Il a fini par me convaincre de refaire des classes transplantées avec mes élèves.L'inspectrice , en visite dans ma classe hier, m'a informé de son accord avec la pratique d'un projet classe de mer même avec de jeunes élèves ( CP/Ce1).
    Petit détail : il ne me reste plus qu'à monter le projet pour l'année prochaine!!!
    claire eychenne

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  2. Les gamins de la photo s'en rappellent encore !
    Merci pour eux

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  3. Ah la classe de mer , je suis parti à Kerfany avec M.MAGRO
    INOUBLIABLE !

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