jeudi 4 décembre 2008

« Les années ». Annie Ernaux


Les années Ernaux sont à nous. Ses premiers livres m’avaient marqué : « La place », « les armoires vides »; ses récents, je les avis dédaignés, les trouvant impudiques. Celui là constitue le livre de sa vie, et par la magie de la littérature, celui de nos vies. Ce n’est pas du Jean Paul Dubois dans « une vie française » qui semblait avoir recopié le Quid pour dérouler ses exploits. Annie Ernaux, la femme, avec délicatesse déroule les années depuis 40 jusqu’à 2006. Je me sens comme elle, immobile au milieu des années qui passent alors qu’à l’adolescence, c’était le monde qui semblait immobile et nous changeants. Ses oublis sont les miens, ses espoirs, ses désenchantements et ses insuffisances : reconnaître ne rien comprendre des rivalités entre chiites et sunnites... Et puis la mémoire vive de petits détails sans importance qui côtoient de grands mouvements de l’histoire : Kiri le clown apparaît au détour d’une phrase où est pointée la perte d’influence de l’église. L’énoncer ainsi peut tromper, tant les macédoines nostalgiques destinées à taper à l’oeil se multiplient dans les rayonnages. Son livre est plutôt un palimpseste. Je suis allé regarder dans le dictionnaire : « Manuscrit sur parchemin dont la première écriture a été lavée ou grattée et sur lequel un nouveau texte a été écrit. » Ces pages correspondent exactement à cette définition où l’épaisseur du temps est palpable. Le parti pris de décrire quelques photographies qui scandent ces années est fécond et l’évolution des langages est bien saisie aussi. De la paysanne en 40 qui lâche un pet dans le train où se trouvent des Allemands et proclame à la cantonade : « si on peut pas leur dire, on va leur faire sentir », jusqu’au repas de famille ou l’auteur qui s’exprime à la troisième personne se sent comme « la cheftaine indulgente et sans âge d’une tribu éternellement adolescente », c’est la vie qui se reconstruit à chaque pas.
Elle n’abuse pas de citations:
« Je me suis appuyée à la beauté du monde
Et j’ai tenu l’odeur des saisons dans mes mains »

c’est de Anna de Noailles.

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